Chronique
Marques viticoles : distinctives ou descriptives ?
Par une décision en apparence banale qui ne fait qu’interpréter la directive 2008/95/CE rapprochant les législations des États membres sur les marques, quant à savoir si une marque portugaise est distinctive ou descriptive, la Cour de justice de l’Union européenne pourrait bien avoir fragilisé de nombreuses autres marques viticoles. Explications.
L’article 3 de la directive 2008/95/CE précise que sont refusées à l’enregistrement ou sont susceptibles d’être déclarées nulles si elles sont enregistrées « les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation de service, ou d’autres caractéristiques de celles-ci… ». De telles marques sont dites descriptives.
Or, la Cour de cassation portugaise s’est posé la question de la validité d’une marque viticole « adega de borba », le terme « adega » signifiant « cave » et le terme « borba » étant le nom d’une aire de production, et donc une provenance géographique.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) était saisie d’une question préjudicielle à laquelle elle a répondu le 6 décembre 2018.
Deux termes portugais analysés par la CJUE
Elle s’est particulièrement attachée à la signification du terme « adega » en langue portugaise qui comporte deux acceptions renvoyant toutes deux au vin, soit une installation dans laquelle celui-ci est élaboré, soit un local sous-terrain dans lequel il est stocké.
Ainsi, pour la CJUE, dans la mesure où un terme renvoie à un lieu de production d’un produit tel que le vin ou à une installation dans laquelle celui-ci est élaboré, il constitue, en principe, une indication pouvant servir pour désigner une propriété de ce produit, facilement reconnaissable par les milieux intéressés.
Mais pourquoi seulement « en principe » ? Parce qu’il faut déterminer s’il est raisonnable d’envisager que le signe en cause soit effectivement reconnu par les milieux intéressés comme une description d’une des caractéristiques du produit. Mais au cas d’espèce, la CJUE n’a pas l’ombre d’un doute : un terme désignant une telle installation constitue une caractéristique du produit.
Dès lors, elle conclut qu’un signe composé de deux éléments verbaux, un terme descriptif et un nom géographique qui est également descriptif d’une provenance, doit être considéré comme revêtant dans son ensemble un caractère descriptif et ne peut être enregistré comme marque.
Elle pousse même le raisonnement jusqu’à rappeler que si le terme « borba » constituait une appellation d’origine protégée, il serait tout simplement indisponible comme marque.
Au regard du droit des marques, le raisonnement de la CJUE n’appelle aucune critique. Mais le viticulteur sera bien forcé de s’interroger sur la validité de ses propres marques, dès lors que la très grande majorité des marques viticoles est construite et structurée exactement de la même manière que celle stigmatisée par la CJUE.
Quid des marques de château ?
Ces marques doivent répondre à une réglementation sectorielle d’étiquetage très rigoureuse qui met l’accent non sur la distinctivité du signe, mais sur l’impérieuse nécessité pour ce signe de ne pas tromper le consommateur, et de lui délivrer une information. En effet, en droit de la consommation, la marque est un élément d’étiquetage qui ne doit pas être trompeur.
Il en va ainsi, par exemple, de la réglementation de l’usage du terme « château » dont on sait qu’il désigne des conditions d’élaboration du vin bien précises, le vin devant obligatoirement être originaire du lieu auquel renvoie ledit château.
L’enseignement de l’arrêt de la CJUE du 18 décembre 2018 est donc que la marque viticole « château plus nom de lieu » associe, elle aussi, deux termes descriptifs, l’un désignant un mode d’élaboration, l’autre désignant une provenance géographique.
Des marques ainsi structurées sont incontestablement fragilisées par l’analyse de la CJUE.
Maître Didier Le Goff
Fort d’une expérience de plus de 25 années dont près de 20 ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l’entreprise, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire tant en droit national qu’européen ou international.
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