Loi Alimentation
La théorie du ruissellement à l’épreuve des faits
Quelques jours après l’entrée en vigueur des mesures phare de la loi Alimentation, et à la veille du Salon de l’agriculture, les organisations professionnelles agricoles et alimentaires maintiennent la pression pour pousser la distribution à revaloriser ses prix d’achat.
Quelques jours après l’entrée en vigueur des mesures phare de la loi Alimentation, et à la veille du Salon de l’agriculture, les organisations professionnelles agricoles et alimentaires maintiennent la pression pour pousser la distribution à revaloriser ses prix d’achat.
Le 1er février 2019 s’est mis en place une des mesures phare du projet de loi Alimentation issu des états généraux de l’Alimentation : le relèvement du seuil de revente à perte (SRP) de 10 % pour les produits alimentaires. Une mesure approuvée par l’Ania, la FNSEA et la FCD et censée permettre, par un phénomène de « ruissellement », de remonter de la valeur jusqu’aux producteurs agricoles. Il est encore trop tôt pour savoir si ce mécanisme fonctionnera, mais à quelques jours de la fin des négociations commerciales 2019 et à la veille de l’ouverture du Salon de l’agriculture le débat est lancé pour savoir si les premiers signes d’évolution des relations commerciales sont de bon augure.
Hausse des prix de 4 % en hypermarchés
Dès la fin janvier, alimenté par Michel-Édouard Leclerc et UFC-Que choisir, les débats ont tout d’abord porté sur le montant des hausses de prix en rayon générées par le relèvement du SRP, avec l’épouvantail agité d’une baisse de pouvoir d’achat pour le consommateur. Pour le top 100 des références vendues en France, le relèvement du SRP a conduit à une hausse des prix moyenne de 4 % en hypermarchés, a relevé Nielsen après l’étude de 15 000 références majeures de marques fabricants PGC entre le 27 janvier et le 3 février. En supermarchés, cette hausse sur le top 100 est plutôt de 2,6 %. « À noter : les spiritueux paient un lourd tribut, avec +9 % d’inflation pour le top 10 des références en hypermarchés », souligne Nielsen. Une semaine plus tard, la hausse des prix se poursuivait : avec +4,2 % en hypermarchés et +3,1 % en supermarchés (soit +3 euros par an pour 7 ménages sur 10).
La question est désormais de savoir « quel usage va être fait de la marge générée par la hausse du SRP pour le distributeur ? de la baisse de prix sur d’autres produits (MDD et non alimentaire) ou de la hausse à l’achat ? », comme l’a résumé Richard Panquiault, directeur de l’Ilec lors d’une table ronde organisée par la commission des Affaires économiques du Sénat le 6 février. « Croire dans le ruissellement, c’était faire abstraction de la réalité des pratiques commerciales des distributeurs. […] Dans la filière du lait et dans certaines filières de niche comme les pommes de terre, nous avons réussi à récréer une volonté de travailler ensemble. Malheureusement, dans d’autres filières comme la viande ou les céréales, nous n’y sommes pas encore arrivés », a pour sa part estimé Richard Girardot, président de l’Ania, annonçant des demandes de déflation de 1,5 à 4 % à travers son observatoire des prix et des marges (déjà 450 remontées à l’heure actuelle).
Le lait ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt
« Il y a une filière où ça se passe mieux, c’est le lait, mais ça ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt, attention aux filières viande où on a encore des demandes de déflation », a renchéri Dominique Chargé, président de Coop de France. Même constat du côté de Richard Panquiault, directeur de l’Ilec, « les EGA ont eu un effet sur le lait, on a 20 à 25 % de signatures de contrats, ce n’est pas qu’un coup de publicité, il y a un réel phénomène. Mais il ne s’est rien passé sur les céréales, les fruits et légumes et la viande ».
« Je ne peux pas faire le bilan d’une loi entrée en vigueur il y a sept jours seulement, mais j’ai rencontré tous les industriels et les patrons de la grande distribution et n’ai pas hésité à leur mettre la pression », a pour sa part déclaré Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, devant les députés le 8 février. Un message certainement véhiculé le 11 février avec Emmanuel Macron devant les responsables des syndicats professionnels agricoles avant la réunion du comité de suivi des négociations commerciales le 13 février à l’heure où nous mettons sous presse. « La DGCCRF a reçu la consigne de traquer les prix et les manquements à la loi. Je vais interpeller le médiateur des relations commerciales pour qu’il se penche sur ce sujet. Le gouvernement est tout entier mobilisé pour que les agriculteurs puissent vivre de leur travail et voient leur revenu augmenter », a encore assuré Didier Guillaume devant l’hémicycle.
L’ordonnance sur les prix abusivement bas publiée en avril
Il a affirmé que la DGCCRF s’était engagée à effectuer 6 000 contrôles dans l’année. 240 opérations ont déjà été réalisées depuis le début de l’année. Par ailleurs, afin d’assurer un revenu minimum aux agriculteurs, le ministre de l’Agriculture a assuré que l’ordonnance relative aux prix abusivement bas serait publiée en avril. Le temps de trouver un compromis avec les coopératives et certaines filières qui s’interrogent sur le sujet. Cette ordonnance, qui a été adressée au secrétariat général du gouvernement, sera prochainement examinée par le Conseil d’État.