Chronique
La technologie blockchain, avenir de la traçabilité alimentaire ?
Alors que la technologie blockchain se déploie dans l’agroalimentaire, le point sur son encadrement réglementaire en France.
Bien que plus ancienne dans sa conception, la technologie blockchain est apparue au grand public il y a environ dix ans, avec l’apparition du bitcoin – cryptomonnaie créée après la crise financière de 2008-2009 en raison de la perte de confiance de ce public dans les organismes bancaires traditionnels. Mais très vite, il s'est avéré que les perspectives de développement de cette technologie étaient loin de se limiter au seul secteur bancaire et financier.
Précisons que la blockchain est un registre infalsifiable, garantissant à l’utilisateur la sécurité et la validité des informations qui y figurent, et donc de transactions et d’échanges de données, fonctionnant grâce aux technologies de registre distribué (distributed ledger technologies, DLT). Pour aider à percevoir le mécanisme, un mathématicien a comparé la blockchain à un registre que tout le monde pourrait lire et dans lequel tout le monde pourrait écrire, mais qu’il est impossible d’effacer.
Dans ces conditions, il est possible de rapprocher des informations pour aboutir à de véritables transactions.
Contrat numérisé
Si, par exemple, je promets de verser 10 euros, à débiter de mon porte-monnaie électronique, à quiconque tondra ma pelouse, et que mon voisin le fait, celui-ci se rendra sur la plateforme en question, et le système va lui demander des justifications de ce que la pelouse a bien été tondue, ce que l’on appelle des preuves de travail. Il est donc inutile que je contrôle moi-même mon voisin. Si le système est satisfait des preuves de travail, il débloquera la somme promise. Comme nous pouvons le voir, il s’agit d’un véritable contrat sous forme numérisée appelé contrat intelligent (smart contract). Ce type de contrat peut contenir autant de conditions que voulu et s’exécute en temps réel en toute sécurité.
Le droit français, l’un des premiers en Europe, s’est emparé de la technologie blockchain depuis 2016.
Les bases du droit français
Par une ordonnance du 28 avril 2016 et son décret du 28 octobre 2016, il a créé les minibons, bons de caisse destinés au financement participatif, et prévu que ceux-ci pourraient être tracés dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé (Deep), qui est donc le nom français de la blockchain. Puis une ordonnance du 8 décembre 2017 a prévu la même faculté pour certains titres financiers, qui ne devront donc plus obligatoirement être inscrits sur un registre de mouvement de titres. Cette ordonnance entrera en vigueur au plus tard le 1er juillet 2018, quand son décret d’application sera paru. Mais il ne fait aucun doute qu’au-delà de la représentation et de la sécurisation des transactions financières, les avantages de la blockchain sont transposables à de nombreux autres secteurs.
C’est ainsi qu’au début du mois de mars 2018, l’enseigne Carrefour annonçait avoir décidé d’appliquer cette technologie au poulet d’Auvergne issu de ses filières Qualité. Grâce au QR code qui figure sur les produits, le consommateur peut accéder en rayon aux informations de traçabilité, depuis le lieu d’élevage jusqu’à l’abattage, voire l’emballage, en passant par l’alimentation reçue et même le nom de l’éleveur.
Un processus de certification à adapter
En l’état actuel du droit, cette initiative n’est possible que sur une base volontariste qui ne s’inscrit pas dans le processus officiel de certification. Rappelons que depuis la loi d’orientation agricole du 5 août 1960 ayant créé le label Rouge, la certification officielle repose sur une organisation tripartite entre un groupement titulaire d’un cahier de charges, un producteur, et un organisme certificateur indépendants les uns des autres.
L’intérêt essentiel de la blockchain étant de sécuriser la transaction sans nécessiter un contrôle sur place, ce qui, en certification officielle reviendrait à gommer l’intervention de l’organisme certificateur, une adaptation de la réglementation est évidemment nécessaire, comme ce fut le cas en matière financière. Mais les perspectives de développement des blockchains sont si grandes que, de toute évidence, rien n’est jamais figé, et qu’il serait bien imprudent de se désintéresser de cette probable évolution.
Maître Didier Le Goff
Fort d’une expérience de plus de 25 années dont près de 20 ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé, en 2016, une structure dédiée à l’entreprise pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en Master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire tant en droit national qu’européen ou international.
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