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Chronique
Ententes dans l’endive : la saga continue

Bien malgré eux, les endiviers français sont à l’origine d’une des plus fantastiques sagas judiciaires qu’il nous ait été donnée de suivre récemment, telle une interminable série télévisée.

Didier Le Goff, avocat

Que de chemin parcouru depuis le 6 mars 2012. Date de la première décision rendue par l’Autorité de la concurrence qui avait condamné, pour entente unique, complexe et continue les pratiques de divers producteurs d’endives et leurs associations, qui s’étaient concertés en mettant en œuvre divers dispositifs. Ces mêmes dispositifs dont l’Autorité jugeait qu’ils avaient eu pour objet la fixation en commun d’un prix minimum de vente à la production d’endives ; l’Autorité paraissant alors totalement insensible aux arguments développés par les mis en cause qui invoquaient la poursuite des objectifs de la politique agricole commune (Pac).

Mais le 15 mais 2014, cette décision était anéantie par la cour d’appel de Paris qui rappelait à juste titre qu’à la date des pratiques reprochées, l’organisation commune des marchés (OCM) en vigueur attribuait aux organisations de producteurs (OP), la mission d’assurer la programmation de la production et son adaptation à la demande, d’optimiser les coûts de production et de régulariser les prix à la production, dans le cadre d’une politique de prévention et de gestion des crises.

Elle avait également relevé que le règlement no 1234/2007 avait permis aux OP de se regrouper en associations de gouvernance non chargées de la commercialisation, mais exerçant les attributions des OP aux fins de régularisation des prix de production, et disposant du droit de se concerter.

Enfin, elle avait relevé que l’avis du conseil de la concurrence no 07-A-08 du 7 mai 2008 n’excluait pas formellement que la fixation de prix minimum puisse relever de la mission des OP sur le fondement des textes en vigueur.

La cour d'appel en avait donc conclu qu’il n’était pas établi que les mis en cause aient enfreint les dispositions des articles 101 TFUE et L420-1 du Code de commerce.

Primauté des règles gouvernant la Pac

Un pourvoi en cassation a donc été formé, dans lequel, comme elle en a le droit, la Commission européenne a déposé des observations par lesquelles elle rappelait que l’article 42 TFUE prévoit que les règles en matière de concurrence ne sont applicables à la production et à la commercialisation de produits agricoles que dans la mesure déterminée par la législation, et compte tenu des objectifs de la Pac.

Selon la Commission, il existait à l’époque des faits des dérogations générales conditionnées à son approbation, notamment pour les pratiques restrictives de concurrence nécessaires à la poursuite des objectifs de la Pac listés à l’article 39 TFUE, et des dérogations spécifiques propres aux OP, AOP et interprofessions dans l’organisation du marché des fruits et légumes, de sorte que, dans ce secteur, certains comportements qui ne pourraient pas relever d’une dérogation générale pourraient quand même être validés.

Une cassation de l’arrêt inévitable

C’est cette intervention qui avait conduit la Cour de cassation à poser à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle à laquelle il était notamment répondu le 14 novembre 2017 que des pratiques qui portent sur une concertation relative aux prix ou aux quantités mises sur le marché ou sur des échanges d’informations stratégiques, qui sont convenues entre membres d’une même OP ou AOP reconnue par un État membre, et qui sont strictement nécessaires à la poursuite des objectifs assignés à ces groupements en conformité avec le droit de l’UE ne relèvent pas de la prohibition des ententes.

Ce rappel du principe de primauté des règles gouvernant la Pac semble bien compris par la Cour de cassation, dans l’arrêt rendu après renvoi préjudiciel, le 12 septembre 2018, comme il l’était aussi par l’avis 18-A-04 rendu au mois de mai 2018.

Mais c’est quand même une cassation de l’arrêt du 15 mai 2014 qui a été prononcée, et l’on peut dire, à la lumière des critères cumulatifs réaffirmés postérieurement à l’arrêt frappé de pourvoi pour échapper au droit des ententes, que cette cassation était inévitable.

Il faut que les pratiques s’inscrivent dans la poursuite des objectifs de la Pac, qu’elles soient le fait de membre d’une même OP ou AOP reconnue, et qu’elles soient proportionnées au but poursuivi.

C’est pour avoir omis cette vérification que l’arrêt est cassé.

Maître Didier Le Goff

Fort d’une expérience de plus de 25 années dont près de 20 ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé, en 2016, une structure dédiée à l’entreprise pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en Master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire tant en droit national qu’européen ou international.

18, av. de l’Opéra, Paris Ier – www.dlegoff-avocat.fr

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