Chronique
Covid-19 et contrats : entre imprévision et force majeure
La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 qui a placé l’économie à l’arrêt ne manquera pas d’avoir de nombreuses conséquences au plan juridique. Retour sur la différence entre l’imprévision et la force majeure.
La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 qui a placé l’économie à l’arrêt ne manquera pas d’avoir de nombreuses conséquences au plan juridique. Retour sur la différence entre l’imprévision et la force majeure.
Notre ministre de l’Économie lui-même, engageant la parole de l’État, a déjà eu l’occasion de préciser qu’il considérait que la crise sanitaire en cours correspondait à un cas de force majeure, et qu’en conséquence, l’État n’exigerait pas de pénalités de retard de ses cocontractants privés.
Cet engagement n’a bien entendu aucun effet sur les relations de pur droit privé, mais il a quand même le mérite de positionner le problème à son juste niveau.
Dans les rapports de droit privé, et notamment entre professionnels ou commerçants, de nombreux contrats vont se trouver soit impossibles à exécuter, du moins dans les délais requis, soit brutalement économiquement non viables, ce qui n’est pas du tout le même problème.
Dans le premier cas, l’on songera, à l’instar des pouvoirs publics, à la notion de force majeure, alors que dans le second, c’est vers la notion d’imprévision que l’on se tournera.
Si ces deux mécanismes juridiques peuvent aboutir à un même résultat, à savoir la résolution du contrat, ils répondent l’un et l’autre à des finalités nettement différentes, de telle manière qu’il importe de les différencier.
La cour d’appel de Colmar se prononce
La notion de force majeure est très ancienne dans notre droit.
D’après la rédaction de l’article 1218 du Code civil issue de l’ordonnance du 10 février 2016, il s’agit d’un évènement échappant au contrôle du débiteur (1re condition), qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat (2e condition), dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées (3e condition), et qui empêche l’exécution de son obligation par le débiteur (4e condition).
Ces quatre conditions sont cumulatives.
Il faut donc que le débiteur ait fait tout son possible pour exécuter son obligation malgré la difficulté pour pouvoir invoquer la force majeure, qui jouera alors comme une cause légitime d’inexécution.
Dans une affaire qui ne relève pas du tout du droit des contrats, la cour d’appel de Colmar a, le 12 mars 2020, considéré que l’absence à son audience d’appel de placement en rétention administrative de l’appelant lui-même, en raison des contraintes imposées par le coronavirus qui étaient à la fois extérieures, imprévisibles et irrésistibles, correspondait à un cas de force majeure.
La cour d’appel a pris soin de vérifier que la présence de l’appelant par visioconférence n’était pas envisageable non plus.
Nous attendons bien sûr une décision propre au droit des contrats pour valider la solution.
Quant aux effets, si l’empêchement est temporaire, l’exécution du contrat n’est que suspendue, sauf le cas où elle devait avoir lieu à un moment précis avant la fin de la période de suspension. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit, ce qui libère les parties de leurs obligations.
Ajoutons qu’entre professionnels, il est courant d’aménager la force majeure par une clause qui peut en définir le régime comme la portée. Il faut donc être particulièrement attentif à ces clauses contractuelles.
L’imprévision sous le contrôle du juge
De son côté, l’imprévision ne se situe pas sur le terrain de l’exécution du contrat, mais sur celui de sa force obligatoire.
Ce n’est qu’en 2016 que cette notion est entrée dans le Code civil.
Elle suppose qu’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat en rende l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque.
Une renégociation du contrat est alors possible, qui, si elle n’aboutit pas amiablement pourra donner lieu à une saisine du juge, ce qui est une grande nouveauté de la loi de 2016.
En effet, ce juge pourra réviser le contrat ou y mettre fin, aux date et conditions qu’il fixe.
En fonction des circonstances, cet outil peut être redoutablement efficace pour corriger le déséquilibre subi d’un contrat pour des raisons qui ne pouvaient pas être prévues lors de sa souscription.
Avec l’imprévision, la question n’est pas de savoir si l’exécution est possible ou pas possible, mais de savoir si elle est rentable ou pas.
Maître Didier Le Goff
Fort d’une expérience de plus de 25 années dont près de 20 ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l’entreprise, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire. Il a fondé, en 2018, avec quatre confrères de spécialités et barreaux différents, une plateforme dédiée aux segments de marché de l’agroalimentaire, parfums, fleurs et leurs produits dérivés : www.leschampsdudroit.fr.