Aller au contenu principal

Chronique
Coopératives : une ordonnance sévère et pas toujours juste

Retour sur l’ordonnance relative à la coopération agricole du 24 avril 2019 qui devra être appliquée avant le 24 juin 2020.

Samuel Crevel, avocat associé au cabinet Racine.

À la suite de l’habilitation de la loi Egalim, est intervenue, le 24 avril, l’ordonnance relative à la coopération agricole (no 2019-362).

Ce texte reflète l’opinion majoritairement affichée lors des états généraux de l’alimentation et du débat parlementaire : les coopératives agricoles doivent être mieux encadrées (pour ne pas dire « recadrées »), car elles auraient tendance à profiter de leur position et de leur statut particulier pour imposer à leurs membres des conditions, tarifaires notamment, défavorables.

Ce « recadrage » prend la forme de plusieurs mesures techniques reposant sur ce postulat que les producteurs qui apportent leur production à une coopérative ne devraient pas être traités différemment de ceux qui la vendent à un négociant.

Cette démarche égalitariste est faussement juste dans la mesure où le coopérateur n’est pas dans la même position juridique qu’un vendeur ; il est membre de la société qui lui achète sa production et même libre de gagner les instances de gouvernance pour améliorer le sort des coopérateurs et donc le sien. Il n’eut pas été choquant de traiter différemment des opérateurs placés dans une situation fondamentalement différente.

Transparence sur la construction du prix

Concrètement, les coopératives vont devoir communiquer à leurs membres, à plusieurs reprises (lors de l’adhésion, en début et fin de campagne, avant l’AG…) des documents techniques pour les édifier sur le processus de construction du prix de leur apport au risque de les noyer sous une masse de documentation répulsive. En outre, cette transparence, louable dans son principe, – car il ne faut pas se cacher que certaines coopératives avaient fait preuve à tout le moins d’opacité sur les prix – risque de se heurter au fonctionnement coopératif. Il ne saurait être question de déterminer définitivement au moment de l’apport un prix qui sera construit par étapes successives tout au long de la campagne entre acompte, complément et ristourne éventuelle – le droit coopératif parle d’ailleurs plutôt de « rémunération » des apports plutôt que de « prix », ce qui n’est pas la même chose.

La disposition la plus emblématique (et décriée notamment par Coop de France) de l’ordonnance est assurément l’introduction d’une responsabilité à l'encontre des coopératives pratiquant des « prix abusivement bas ».

Pétrie de bonnes intentios, cette responsabilité n’est pas exempte de critiques. D’une part, il va être difficile de distinguer, surtout en période de chute des cours, le prix bas, voire très bas, du prix « abusivement bas » (le législateur ne se risque d’ailleurs pas à avancer une formule de calcul de celui-ci…). D’autre part, au lieu d’être ouverte aux coopérateurs victimes de l’abus, l’action en responsabilité est curieusement dédiée au « ministre chargé de l’Économie, après avis motivé du ministre chargé de l’Agriculture ainsi que du Haut Conseil de la coopération agricole ».

Convaincus par l’idée reçue qu’un coopérateur est un emprisonné en puissance, les rédacteurs de l’ordonnance ont cherché à faciliter sa sortie de la coopérative en instaurant un encadrement des pénalités ; pourtant inutile puisque les modèles de statuts contiennent déjà un tel encadrement.

Retrait anticipé à moindre pénalité

L’ordonnance introduit également un motif de retrait anticipé à moindre pénalité pour le coopérateur désireux d’adopter une nouvelle production non collectée par sa coopérative. Il aurait été opportun de le doubler d’un dispositif de vérification et de sanction a posteriori.

Enfin, l’institution de tutelle des coopératives – le Haut Conseil de la coopération agricole – voit ses pouvoirs, notamment de contrôle (par l’intermédiaire de la révision) et de sanction, accrus au prix d’une exigence déontologique renforcée et sans doute bienvenue.

L’ordonnance devra être appliquée avant le 24 juin 2020 ; d’ici là, les modèles de statuts arrêtés par le ministre de l’Agriculture devront avoir évolué pour permettre aux coopératives d’adopter des statuts adéquats.

LE CABINET RACINE

Racine est un cabinet d’avocats indépendant spécialisé en droit des affaires. Avec un effectif total de deux cents avocats et juristes dans sept bureaux (Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Strasbourg et Bruxelles), il réunit près de 30 associés et 70 collaborateurs à Paris. Samuel Crevel, associé, y traite des questions relatives à l’agriculture et aux filières agroalimentaires. Magistrat de l’ordre judiciaire en disponibilité ayant été notamment chargé des contentieux relatifs à l’agriculture à la Cour de cassation, il est directeur scientifique de La Revue de droit rural depuis 2006.

Racine - 40, rue de Courcelles - 75008 Paris - www.racine.eu

Les plus lus

vache charolaise dans un pré
La vache lait O dépasse les 5 €/kg, les prix des jeunes bovins se calment

Les prix des bovins ont gagné 14,5 % en un an, et la hausse pourrait bien continuer, car si les prix des JB semblent marquer…

LES ÉTATS-UNIS PREMIER EXPORTATEUR AGRICOLE ET AGROALIMENTAIRE, infographie parue dans Les Marchés Mag de juin 2023
États-Unis : ce qu'il faut savoir du premier exportateur agricole et agroalimentaire en une infographie

Leader du marché mondial agricole et agroalimentaire, qu'est ce qu'exportent les États-Unis ? Quelles sont les productions…

oncle sam reçoit des dollars, vue en contre plongée
Droits de douane des États-Unis : quelles perspectives pour les échanges agricoles

Le président américain a annoncé, comme prévu, le 2 avril, une volée de droits de douane qui n’épargnent aucun pays ni aucun…

agneaux et brebis en bergerie
Les prix des agneaux de nouveau au-dessus de 10 €/kg, des records probables pour Pâques

Les prix des agneaux progressent de nouveau, à un mois de Pâques, temps fort de consommation de la viande ovine, qui résiste…

des poules oranges
Prix des poules de réforme – Cotation réalisée le 28 mars 2025

La CPP (Cotation poule pondeuse) est publiée dans Les Marchés le lundi reflète les prix de la semaine précédente. La CPR (…

Graines de soja dans des mains
Risques liés aux isoflavones : pourquoi l’Anses recommande d’éviter les aliments à base de soja en restauration collective

L’Anses recommande ce 23 mars de ne pas servir d’aliments à base de soja en restauration collective pour éviter une…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 90€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site Les Marchés
Bénéficiez de la base de cotations en ligne
Consultez vos publications numériques Les Marchés hebdo, le quotidien Les Marchés, Laiteries Mag’ et Viande Mag’
Recevez toutes les informations du Bio avec la newsletter Les Marchés Bio