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Viticulture de conservation
Retour sur 10 ans de non-labour

Dans le Bas-Rhin, Hubert Gerber conduit ses vignes en semis direct et en non-labour. C’est pour lui moins de travail et la satisfaction d’avoir un sol fertile au fonctionnement optimal.

Cela fait maintenant dix ans que les interrangs d’Hubert Gerber n’ont pas vu un outil de travail du sol. Ce viticulteur de Nothalten, dans le Bas-Rhin, qui apporte ses raisins à la coopérative Wolfberger, a été un des premiers à se lancer dans la viticulture de conservation.

Lorsqu’il reprend le vignoble familial en 1998, le système est le même depuis vingt-cinq ans : un interrang sur deux est enherbé naturellement, l’autre est travaillé. Le rang est quant à lui désherbé chimiquement. « Nous avions déjà sur l’exploitation une certaine sensibilité au sol puisque nous n’utilisions pour le travail que des outils tirés, remarque le viticulteur. Nous avions banni les outils de travail du sol rotatifs pour respecter la structure des sols»

Une rencontre qui sonne comme une révélation

Curieux, Hubert Gerber cherche toutefois à faire évoluer ses pratiques. En 2004, il rencontre le journaliste agricole alsacien David Lefebvre, qui venait de découvrir le concept de rolofaca au Brésil, sur des systèmes en grandes cultures. Le viticulteur se dit qu’un tel matériel peut être une solution intéressante pour calmer son enherbement naturel plutôt que de le broyer. Il demande donc à son frère Maurice, Meilleur ouvrier de France en métallerie, de lui confectionner un tel rouleau.

Quelques années plus tard, il se rend en Allemagne pour une visite d’exploitation en grandes cultures, chez les frères Wenz, qui pratiquent le non-labour depuis plus de vingt ans. Une journée avec la théorie en salle le matin et l’après-midi sur le terrain. « Je ne connaissais pas du tout l’agriculture de conservation, le semis direct et toutes ces notions. Ça a été une révélation, avoue Hubert Gerber. Je me suis dit d’emblée : c’est comme ça qu’il faut que je fasse dans mes vignes. » Le problème, c’est qu’en viticulture il faut alors partir de zéro. Personne ne pratique ce genre d’agriculture et le matériel n’existe pas.

« Et moi c’est tout ou rien : je ne voulais pas commencer à essayer les couverts avec des semoirs classiques après avoir préparé le sol, il fallait que je commence immédiatement en semis direct ! », se remémore le viticulteur. Il décide donc de faire appel encore une fois aux talents de son frère, et lui commande un semoir adapté à ses vignes sur la base de ce qui existe en grandes cultures.

Rapidement est venue la nécessité d’apprendre à semer

En 2010, il réalise son premier test sur les neuf hectares de sa propriété, un rang sur deux, avec un prototype de semoir sans allure mais qui se révèle fonctionnel. Il obtient un résultat intéressant, mais que l’on ne peut pas qualifier de satisfaisant. « Mon premier échec ça a été lorsque j’ai constaté que quand on sème dans un enherbement spontané, ça ne marche pas », se remémore-t-il. Dans ses sols naturellement colonisés par les graminées, notamment le ray-grass, la concurrence est trop forte au niveau des graines, qui ne germent pas.

Cette première expérience lui enseigne une règle de base : la première année il est préférable de passer un glyphosate une bonne fois pour toutes pour bien nettoyer avant d’installer le couvert végétal. Sa deuxième source d’échec a été la profondeur de semis. « Il faut apprendre à semer, dit-il sans ambages. Nous viticulteurs n’avons jamais été préparés à ça, mais c’est pourtant essentiel de retrouver ces savoirs paysans. » Hubert Gerber a donc appris sur le tas, à force d’expérience.

Mais il a également dû aller chercher l’information là où elle était : dans les grandes cultures et dans les livres. Il a échangé avec des céréaliers locaux, en essayant d’adapter les pratiques à son exploitation et ses vignes en coteaux. Puis il a étudié en autodidacte l’agronomie et le fonctionnement du sol. « Je n’ai eu aucun soutien technique de ma filière. Aujourd’hui encore, aucun organisme ne s’intéresse à ces pratiques pour aider les vignerons qui souhaitent s’engager, c’est affligeant », assène-t-il.

Il faut compter 130 jours pour qu’un couvert ait suffisamment de biomasse

Aujourd’hui son système est bien rodé, et l’itinéraire technique maîtrisé. Dès que la météo le permet, Hubert Gerber réalise un semis direct à la sortie de l’hiver, avec un mélange à base de légumineuses, qui vont apporter de l’azote, et des céréales comme le seigle ou l’avoine. Ce couvert est roulé au rolofaca lorsque les plantes sont à mi-floraison, car c’est à ce stade qu’elles sont le plus ligneuses et qu’il y a le plus de carbone. Ce couvert roulé forme un paillage qui reste en place tout l’été.

« Il y a besoin de beaucoup de biomasse, commente le viticulteur. En général, il faut environ 130 jours pour que le couvert soit suffisamment développé» Il réalise ensuite un nouveau semis direct à la fin juillet/début août pour éviter que les graminées reprennent le dessus pendant l’hiver. Les espèces implantées à ce moment-là sont surtout des crucifères, avec des racines qui structurent le sol et une nutrition qui piège les excès d’azote. Ces plantes annuelles dépérissent généralement au cours de l’hiver, et le viticulteur peut recommencer un cycle.

Les rangs quant à eux sont travaillés au cours de l’année avec un disque crénelé doublé de doigts bineurs de chez Bärr. Hubert Gerber se dit très satisfait de son système. Bien qu’il ait fallu supporter une phase de transition de trois à quatre ans où les rendements ont baissé d’environ 10 %. « J’étais prévenu mais je n’y croyais pas trop, dit-il. En réalité il faut s’y préparer. Mais c’est le prix à payer pour avoir un sol de qualité par la suite. » D’autant plus qu’aujourd’hui les rendements sont de nouveau au rendez-vous, puisqu’il récolte tous les ans ses 80 hl/ha autorisés par l’appellation, et cela sans aucun frais de fertilisation. Tout est produit sur place.

Une meilleure tolérance à la sécheresse et moins de tassements

« J’estime à environ 80 unités d’azote ce que j’amène grâce aux plantes », précise le viticulteur. Les vignes se montrent d’ailleurs très vigoureuses, au point qu’il est parfois obligé de maîtriser cette vigueur. Même au mois de mai, alors que le couvert est toujours en place, il n’observe pas de concurrence avec la vigne, ni de feuillage jaunâtre qui trahirait un besoin d’azote sur cette période. Mieux, les carences magnésiennes autrefois récurrentes sur le gewurztraminer ont même disparu.

De même, grâce à la meilleure rétention de l’eau par le sol, ses vignes résistent mieux à la sécheresse. « En 2019, qui a pourtant été ici une année très sèche et très stressante pour la vigne, mes parcelles n’ont pas souffert. On pouvait constater la différence visuellement sur les coteaux », assure-t-il. Le viticulteur a par ailleurs remarqué en 2016, année très pluvieuse, une portance bien meilleure que sur un enherbement naturel, et voit moins de phénomènes d’ornières et de tassement lors du passage de la machine à vendanger.

Sur le terrain, on note toutefois que le ray-grass est en train de réinvestir partiellement les interrangs. « Pour bien faire, il faudrait que je passe un coup de glyphosate pour repartir sur de bonnes bases, mais je n’ai pas vraiment envie de recourir à la chimie, reconnaît le viticulteur. Et contrairement à un champ de céréales, en viticulture on peut se permettre un petit peu de salissure, la vigne ne va pas être impactée tout de suite. »

Travail du sol, fertilisation, irrigation… au final les plantes (aidées des vers de terres) réalisent une bonne partie du travail du viticulteur alsacien. « Il n’existe aucun matériel sur le marché qui fait ça ! s’amuse Hubert Gerber. Pour moi la viticulture de conservation c’est la preuve que l’on peut faire vite et bien en respectant l’environnement. N’ayant pas à labourer, je travaille moins, avec comme résultat de meilleurs rendements et davantage de qualité. » Une réflexion qui laisse rêveur !

La naissance d’un constructeur de matériel viticole

L’efficacité et l’intérêt qu’a suscité le rolofaca conçu en 2005 ont poussé Maurice et Hubert Gerber à commercialiser ce nouveau matériel. Après plusieurs essais et quelques modifications les deux frères ont décidé de déposer un brevet, de protéger le nom « Rolofaca » en France et d’ouvrir la société de construction de matériel Gerber H & M. L’entreprise a également commercialisé sur demande les premiers semoirs à semis direct adaptés à la vigne.

Depuis, la demande n’a fait que croître. Les deux frères ont fait construire leurs ateliers en 2017 et Maurice Gerber se consacre désormais à plein temps à la construction de matériels. La société propose maintenant quatre matériels différents adaptables à tous les vignobles et toutes les situations (vignes larges, étroites, travail au cheval…).

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