Quand l’assemblage du vin fait du hors-piste
Mélanges entre cépages rouges et blancs, combinaisons de contenants ou encore associations de millésimes. Les assemblages sont en plein renouveau pour répondre aux contraintes du changement climatique et partir à la conquête de nouveaux consommateurs. Retours d’expériences.
Mélanges entre cépages rouges et blancs, combinaisons de contenants ou encore associations de millésimes. Les assemblages sont en plein renouveau pour répondre aux contraintes du changement climatique et partir à la conquête de nouveaux consommateurs. Retours d’expériences.
« En assemblant grenaches blanc et noir, on affine sur la fraîcheur, la finesse des tanins », Ingrid Bouchet, vigneronne du Clos des Mourres
De tradition dans certaines appellations, l’association de cépages rouges et blancs est une option qui se développe ailleurs. En 2019, Ingrid et Jean-Philippe Bouchet, vignerons du Clos des Mourres à Vaison-la-Romaine, dans le Vaucluse, l’ont expérimentée en créant leur cuvée Rosy. Selon les années, elle est composée de 30 à 35 % de grenache blanc et de 70 à 65 % de grenache noir. « La cuvée est née un peu par hasard au moment des assemblages, confie Ingrid Bouchet. On avait du grenache noir qui nous plaisait et un tonneau de grenache blanc qui nous restait. On s’est dit que ça serait une autre façon de mettre en valeur le grenache noir. C’est un cépage modelable, on peut faire plein de choses avec. » L’idée était aussi d’atteindre un profil de vin moins tanique.
Les raisins sont vendangés comme pour les autres cuvées « jamais trop tard ». L’élevage a lieu isolément, avec une partie en tonneaux et en jarres en grès dans chacune des couleurs. « Le grenache noir est issu d’une parcelle qui donne un profil 'rose ancienne' en cuve. Avec l’assemblage, on affine sur la fraîcheur, la finesse des tanins, l’élégance. Chaque année, on cherche, on améliore », détaille la vigneronne. Ils veillent à ne pas dépasser un volume d’alcool de 13,5 % vol.
« Ce n’est pas un profil Rhône sud, ça peut déstabiliser certains mais la cuvée a son public et son identité. C’est un vin étonnant, avec de la structure et de la finesse. En milieu de bouche, on a un profil de blanc » , indique Ingrid Bouchet. Trop clair pour être revendiqué en côtes-du-rhône, le vin est commercialisé en vin de France. Il est vendu 14,50 euros, prix caveau.
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« La complémentarité des contenants vinaires apporte de la complexité », Etienne Loew, vigneron du domaine Loew
Depuis 1997, Étienne Loew, vigneron du domaine éponyme à Westhoffen en Alsace, travaille le profil de son pinot gris sec Le Menhir. « Le cépage pinot gris a besoin d’une ouverture », pose le vigneron. Son vin est aujourd’hui issu d’un assemblage de cinq types de contenants. « On a d’abord élevé une partie du vin en barriques, sans doute trop neuves. Je m’en suis détourné car en goûtant les vins une dizaine d’années plus tard, on avait l’impression d’une sucrosité avec un côté vanille, coco que je ne recherchais pas », explique-t-il. « Le pinot gris totalement en cuve inox se goûtait plus dur, ce dont je ne voulais pas non plus », ajoute-t-il. Il y a une quinzaine d’années, il s’est orienté vers des demi-muids ayant contenu cinq vins, qui correspondaient à sa problématique de place et de budget limité. L’assemblage l’a satisfait, permettant « un équilibre entre du trop patiné et du trop réduit ». Mais déguster ici et là des vins issus d’une diversité de contenants l’a encore fait évoluer. « Je me suis dit qu’on pouvait avoir le même volume, la même dynamique gustative sans trop de patine, sans trop de réduction avec d’autres contenants », se remémore-t-il. Il a fait des essais avec un œuf en porcelaine et une amphore en grès. Les différents tests ont prouvé le bon fonctionnement d’un assemblage de tous les contenants. Le vin final se compose donc d’environ 50 % d’inox, 30 % de demi-muids, 20 % de barriques, amphore et œuf avec de petites variations selon les millésimes. « Sur une année nickel, on ira un peu plus sur le bois. Cette année, on a beaucoup trié et on a renforcé l’inox », détaille-t-il.
« La complémentarité des contenants vinaires apporte de la complexité. On atteint un super équilibre. Le but est d’obtenir du gras avec un vin sec mais pas trop riche en alcool. On peut vendanger en sortant de la philosophie d’une maturité phénolique où l’on avait un vin sec mais parfois un peu lourd », analyse le vigneron.
Cette multiplication des contenants ne pose pas de problème technique mais nécessite de la place. Avoir plus d’espace pour le stockage et le vieillissement de ses vins est un des motifs qui a poussé le domaine à déménager dans un nouveau chai en cours de finition.
« L’assemblage avec un millésime riche est une voie que l’on choisit plutôt que de chaptaliser », Benoît Jardin, vigneron du domaine Les Maisons Rouges
Benoît Jardin, vigneron au domaine Les Maisons Rouges à Ruillé-sur-Loir, dans la Sarthe, fait comme beaucoup le constat que les années sont de plus en plus chaotiques. Pour lui, l’assemblage est un outil d’adaptation aux effets du millésime. « Ici, on est au nord du vignoble, on a des années avec peu de maturité. L’assemblage avec un millésime plus riche est une voie que l’on choisit plutôt que de chaptaliser. Nous sommes en bio et biodynamie, nous faisons des vins les plus naturels possibles », explique-t-il. Sur le millésime 2021, pour sa cuvée Garance, un 100 % pineau d’aunis issu d’une même parcelle, il a décidé d’assembler le vin de l’année avec du vin de 2020 à hauteur de 30 %. Plus chaude que 2021, l’année 2020 était plus mûre mais aussi plus affectée par les attaques de Drosophila suzukii, l’insecte affectionnant la peau fine du pineau d’aunis. En conséquence, le vin avait une volatile « trop haute pour nous », pointe le vigneron. À l’inverse, 2021, année plus froide, avait éloigné l’insecte et donné un « jus clair, aromatique ». L’union des deux années a permis d’atteindre le profil frais, épicé et fruité typique de la cuvée.
Le domaine dispose de caves creusées dans le tuffeau, ce qui assure la conservation des vins dans de bonnes conditions. « Nous les conservons le plus longtemps possible sans soufre. Le tuffeau permet une régulation de température pas chère », plaisante le vigneron.
Habituellement en appellation coteaux-du-loir, la cuvée Garance est passée pour l’occasion en vin de France. Le vigneron craignait un refus d’agrément, bien que l’appellation permette en principe l’assemblage de millésimes. L’idée était aussi de tester commercialement une cuvée en vin de France. Seul, un client japonais a juste redemandé un échantillon. Benoît Jardin imagine que du fait des aléas climatiques, la solution d’un assemblage de millésimes se présentera sans doute à nouveau. Il n’exclut pas de garder cette fois-ci l’appellation.
« Notre blouge sera un rouge léger à boire frais », Anthony Aubert, cofondateur d'Aubert & Mathieu
Chez Aubert & Mathieu, jeune entreprise de négoce basée à Carcassonne dans l’Aude, l’assemblage est au cœur de la conception des cuvées. Les deux associés ont exploré l’assemblage de cépages rouges et blancs. Ils sont d’abord partis sur un syrah-viognier façon côte-rôtie mais pour leur cuvée Palooza, une IGP pays d’oc. « On avait le fruit, le floral, l’acidité, la fraîcheur. Le profil plaisait mais personne n’achetait. Ça ne collait pas à l’image de la dénomination », constate Anthony Aubert, cofondateur de l’entreprise. Avec son associé Jean-Charles Mathieu, il retravaille l’idée en préparant le lancement d’un « blouge » pour 2024. Ce sera un « rouge léger, à boire frais, en bio et en vin de France », annonce Anthony Aubert. Ils ont pisté les vins adéquats chez leurs vignerons partenaires et cherché le bon équilibre. Après différents essais, ils ont unis du grenache noir et du grenache gris.
La piste de l’assemblage de millésimes est également empruntée par la jeune entreprise. « Lorsque le vin est un peu jeune, lui ajouter un peu de vin du millésime précédent lui donne une patine et ça le rend prêt à boire », expose Anthony Aubert. Inversement, un vin peut être dynamisé avec un millésime plus frais. Mais la limite légale d’un volume de 85 % minimum du millésime revendiqué sur l’étiquette est toujours conservée. « Pour des cuvées que l’on vend 10 à 25 euros, les consommateurs sont attachés à l’effet millésime », estime-t-il. L’assemblage a lieu juste avant l’embouteillage.