Le vin de France se positionne sur l’innovation
Au départ orienté sur l’export, le vin de France bénéficie aujourd’hui de motivations centrées sur l’innovation et l’adaptation au marché. Une tendance durable.
Au départ orienté sur l’export, le vin de France bénéficie aujourd’hui de motivations centrées sur l’innovation et l’adaptation au marché. Une tendance durable.
Le vin de France continue de tenir sa mission première : conquérir des marchés à l’export. En six ans, il a gagné 24 % en volume à l’export indique l’Anivin. D’après les statistiques de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS), depuis 2016, sa part dans les volumes de vins tranquilles exportés oscille selon les années entre 16,5 % et 18 %. Sa valorisation moyenne a progressé, passant de 1,76 euro par litre en 2016 à 2,65 euros en 2022.
À la conquête du marché français
Le fait nouveau est que le vin de France gagne du terrain sur le marché hexagonal. « C’est récent. En 2022, on est sur 66 % de vin de France vendu à l’export et 34 % en France. Mais il y a deux ou trois ans on était sur 77 % à l’export », observe Valérie Pajotin, directrice de l’Anivin.
La restauration puis les cavistes ont été précurseurs. En grande distribution, les foires aux vins se mettent à lui faire une place. Sur l’ensemble de l’année 2022, sa part dans le volume de vins tranquilles vendus en grande distribution reste modeste avec 7 %, mais c’est deux points de plus qu’en 2021 (données IRI/FranceAgriMer). L’Anivin imagine même des espaces dédiés au vin de France dans les magasins. « Le vin de France est une façon d’entrer dans l’univers du vin pour les jeunes. Il faut faire en sorte que les vins soient regroupés pour qu’ils sachent où les trouver », argue Valérie Pajotin.
En parallèle, le vin de France change d’image et permet de diversifier les gammes face à une demande française en pleine évolution. À lui le terrain de l’innovation. « Ici votre caviste révèle l’avant-garde », clame l’autocollant à coller en vitrine, proposé aux cavistes référençant des vins de France par l’Anivin. Il existe aussi une version pour les restaurateurs.
La solution pour gagner des nouveaux marchés
« Quelle que soit leur taille, les entreprises se sont emparées du vin de France », constate Ariane Canevet, cheffe de projets à l’Anivin. Cépages ou assemblages hors appellation, vin orange, bulles, vin méthode nature, production en vignoble innovant écoresponsable (VIE)… l’absence de cahier des charges rend tout possible. Autant d’occasions pour capter de nouveaux consommateurs ou marchés pas ou peu couverts par les indications géographiques. « On a toujours eu le discours de la complémentarité. Il n’y a pas de marchés qui ne veulent que du vin de terroir AOP-IGP ou que du vin de France. On est bon dans les deux catégories », lance Valérie Pajotin à ceux qui craindraient le grand remplacement.
Parmi les fervents défenseurs de l’élargissement de la gamme par le vin de France figure François Fourel, conseiller en marketing du vin. Il n’hésite pas à préconiser cette stratégie commerciale à ses clients. « C’est un moyen pour innover, pour ne pas être comparé avec d’autres vins de l’appellation et pour se faire repérer. Ce n’est pas incompatible avec le terroir », estime-t-il.
C’est donc ce qu’il a suggéré à Ana et Thierry Russo, installés depuis trois ans au Château Maupérier, en AOP castillon-côtes-de-bordeaux, pour ne pas « être coincés ». Convaincus, les Russo jouent donc la carte du vin de France avec deux cuvées. Leur rouge Iconoclaste, à 100 % issu de leurs vignes, adopte un profil différent des vins des ex-propriétaires. « Nous voulons faire des vins comme on aime, avec du fruité, agréables à boire avec un peu de matière », affirme Ana Russo. Leur second vin de France répond à un autre motif : celui de posséder un blanc dans leur gamme, alors qu’ils n’ont que des cépages rouges. Ils ont sourcé les raisins en Val de Loire. Leurs vins sont signés Maupérier pour développer une logique de marque. Ça ne les empêche pas de produire une cuvée en appellation. « On ne refuse pas l’AOC mais ça nous permet d’avoir plus de liberté », justifie Ana Russo.
Un terrain de jeux pour expérimenter
La possibilité d’innover a également convaincu la cave de Tain. « La dénomination vin de France n’est culturellement pas du tout dans les gènes de la cave de Tain », assume Olivier Ringler, directeur du développement commercial. Mais il a fait le constat que « le vin de France est un véhicule de croissance ». Il y voit l’opportunité d’un « débouché volumique qualitatif » avec des vins accessibles en prix et style. Une façon aussi de réagir au « talon d’Achille des IGP collines rhodaniennes » moins faciles à vendre que les crus.
Proposés aux consommateurs à 8,95 euros la bouteille, les deux vins de France lancés cette année adoptent un profil « fruit, gourmandise, assez juteux et une teneur en alcool modérée », précise le directeur. Ils sont prêts à boire. La cave dispose d’une très grande variété de terroirs pour assembler. Elle ose en même temps d’autres innovations : une étiquette classique mais sous forme d’illustration, une bouteille légère (moins de 400 g), pas de capsule CRD, un volume réparti moitié-moitié entre le blanc et le rouge là où elle fait en moyenne 80 % de rouge. Les cuvées visent à parts égales la France et l’export. « Il y a une demande mondiale pour des vins accessibles, facilement identifiables », argumente Olivier Ringler, rassuré par les contacts noués à Wine Paris 2023. La cave tâte le terrain avec pour l’instant une mise de 50 000 cols.
Une arme face au changement climatique
La possibilité de mélanger les millésimes à sa guise est une motivation montante. Les Russo comme la cave de Tain l’ont saisie. Cette dernière mélange trois millésimes dans ses cuvées. Ce même motif a guidé le domaine Les Maisons Rouges en AOP jasnières et coteaux-du-loir à passer certaines cuvées AOP en vin de France. Benoît Jardin, le vigneron, apprécie de plus en plus de pouvoir assembler une année « avec de la fraîcheur et une autre avec de la richesse » pour assurer le profil visé pour la cuvée. Et sans risque que les vins soient jugés avec défaut par l’Inao. Ce changement de catégorie ne lui a posé aucun problème commercial.
Au domaine du Fay D’Homme dans le vignoble nantais, la liberté de gestion des volumes est aussi un autre avantage souligné, surtout dans le contexte d’incertitude lié aux aléas climatiques. « Une année, pour notre cuvée de folle blanche, nous avions trop de rendement pour l’appellation. Comme le vin nous plaisait, on l’a passée en vin de France. Cette cuvée est très demandée. On va replanter pour avoir 2 hectares », détaille Emmanuelle Caillé, vigneronne.
De la liberté mais sous conditions
Un autre argument est de plus en plus avancé par les opérateurs, l’absence de prix de référence comme c’est le cas pour les appellations. À la liberté de composer le vin, s’ajoute donc celle de fixer un prix en fonction de la qualité et du profil du vin.
Valérie Pajotin souligne l’importance du critère de rapport qualité-prix. « Lors de notre concours annuel, pour lequel nous avons invité quarante acheteurs de dix-huit nationalités, il y a eu une unanimité sur le rapport qualité/prix des vins, quel que soit leur niveau de prix », se félicite-t-elle.
Autre mise en garde face à l’attraction du vin de France comme solution pour réorienter des stocks : le profil des produits. « On attend des vins de France de la rondeur, de la sucrosité que ne permettent pas forcément les cahiers des charges », indique-t-elle.
La dynamique de cette catégorie se concentre sur les vins avec mention de cépage. C’est très net à l’export où les vins de France avec cépage ont gagné 12 % entre 2016 et 2022 tandis que les sans cépage ont perdu 31 %. Valérie Pajotin estime que c’est aussi l’avenir sur le marché français, pour répondre à l’attente d’information des consommateurs. Si la liberté est le maître mot pour le vin de France, il n’échappe pas à la loi du marché !
Un certain flou statistique
En termes de statistique, le vin de France n’est pas si facile à cerner. Les statistiques de production basées sur les déclarations de récolte ne donnent pas une idée juste de son poids réel. « Certains assument le vin de France, d’autres moins ; certains producteurs veulent garder la liberté de choix jusqu’à la commercialisation », énumère Valérie Pajotin, directrice de l’Anivin de France parmi les raisons poussant les opérateurs à ne pas remplir la case vin de France au moment de la déclaration de récolte.
L'Anivin communique surtout sur les vins de France cépage. Ils représentent 58 % des volumes de vin de France commercialisés déclarés en 2022. Leur volume s'établit à 1 445 391 hectolitres en France et à l'export, soit une progression de 31 % en 10 ans. Toute entreprise qui commercialise des vins de France avec cépage ou millésime doit être certifiée par FranceAgriMer. Elle cotise à l'Anivin en fonction de ses volumes agréés. 713 entreprises (négociants, caves coopératives, vignerons) commercialisant du vin de France cépage ou millésime sont certifiées en 2022. A l'inverse, la certification n'est pas obligatoire si l'entreprise ne commercialise que du vin de France sans cépage et sans millésime.
Pour 2022, selon les données des Douanes (DGDDI), pour l'ensemble des vins de France « la déclaration de récolte représente 4,9% de la production française », indique l'Anivin.