Rupture d'une relation commerciale établie, la lettre comme règle
Par contrat en date du 19 octobre 2005 suivi d'un nouveau contrat en date du 31 janvier 2006, d'une durée de deux ans, renouvelable par tacite reconduction, et portant sur « au moins 50000 h de travail par an », la société CPS devenue Arts et Fragrances s'était vu confier le conditionnement de produits des sociétés Nina Ricci et Paco Rabanne. Pour 2008, un contrat d'un an sans tacite reconduction sera signé, avec une clause de rendez-vous au mois de novembre afin d'envisager l'avenir. Ledit rendez-vous aura lieu, mais ne débouchera sur aucun autre contrat. En revanche, la société Paco Rabanne va continuer de passer des commandes en 2009, avant de lancer un appel d'offres, à l'issue duquel la société CPS ne sera pas retenue. C'est ainsi que la relation commerciale a pris fin. Mais CPS va se plaindre d'un abus de dépendance économique, et surtout d'une rupture abusive de relation commerciale établie.
Rappelons que la réglementation de la rupture de relation commerciale établie fait partie des pratiques restrictives de l'article L4426 du Code de commerce, et oblige tout partenaire économique qui souhaite rompre, même partiellement, une relation commerciale établie à le faire au moyen de la notification d'un préavis écrit dont la durée est fonction de la durée de la relation commerciale à laquelle il est mis fin. La jurisprudence a considérablement éclairci la notion de relation commerciale et de « relation commerciale établie » qui repose souvent sur le critère de la croyance légitime que pouvait avoir le partenaire évincé de ce que la relation serait poursuivie compte tenu des circonstances de fait. Et ce sont ces critères que la cour d'appel avait mis en œuvre dans l'arrêt cassé en observant que le contrat de 2008 était d'une durée d'un an sans tacite reconduction, que le chiffre d'affaires avait baissé en 2009, de sorte que la société CPS ne pouvait pas s'attendre à la pérennité de la relation. La cour d'appel ne s'arrête pas sur l'appel d'offres, peut-être parce que celuici était impropre à faire courir un préavis de rupture.
Appel d'offres
La jurisprudence a déjà admis qu'un appel d'offres vaille notification de préavis de rupture, mais cela suppose que le préavis accordé et sa durée soient clairement évo-qués dans l'appel d'offres, et que l'appel d'offres soit lancé suffisamment à l'avance pour permettre le déroulement du préavis, s'il y a lieu. Mais surtout, la cour d'appel ne s'est pas attachée à la notification de la rupture. La Cour le relève avec force : « […] La cour d'appel, qui n'a pas recherché si la seconde [Paco Rabanne] avait clairement notifié à la première la rupture partielle de leur relation commerciale, en lui consentant un préavis suffisant, a privé sa décision de base légale ». La cassation pour défaut de base légale est un cas d'école, qui suppose que la Cour considère que la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations la solution juridique adaptée. À partir du moment où elle constatait une baisse de chiffre d'affaires en 2009, la cour d'appel devait rechercher si une rupture avec préavis suffisant avait été notifiée.
Contre la rupture brutale
C'est une règle de fond, en même temps que la pierre angulaire de la protection contre la rupture brutale. Mais au-delà, cet arrêt n'est pas sans rappeler une création prétorienne de la Cour dans le domaine des conventions de conversion mises en œuvre par la loi il y a plus de vingt ans. Le principe était que dans certaines procédures de licenciement, le salarié se voyait proposer d'adhérer à une convention de conversion. En cas d'accord, le contrat de travail était réputé rompu d'un commun accord du salarié et de l'employeur, ce qui mettait fin à la procédure de licenciement, lequel n'était donc pas notifié. Mais en dépit du dispositif légal, la Cour est venue exiger que le licenciement soit notifié dans tous les cas, érigeant la lettre de notification du licenciement en règle de fond. Toutes choses égales par ailleurs, on voit que c'est une motivation du même type qu'a retenue la Cour dans l'arrêt commenté.
Fort d'une expérience de plus de vingt-cinq années dont vingt ans au sein du cabinet LPLG Avocats, dont il fut associé, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l'entreprise et à l'écoute de ses besoins, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d'une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, Maître Didier Le Goff a développé une compétence générale en droit économique qu'il enseigne en mas-ter II Droit du marché de l'université de Nantes, avec une prédilection pour l'agroalimentaire tant en droit national qu'européen ou international. Contact : dlegoff.avocat@gmail.com