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« Rares sont les pays qui cumulent autant d'atouts que la France »

Forte de ses atouts, aussi bien au niveau de la production que de son industrie laitière, la France peut tirer son épingle du jeu dans le nouveau contexte laitier dont il est encore difficile de dire s’il sera très chahuté ou pas.

Vincent Chatellier
Vincent Chatellier
© NICOLAS BERTRAND/INRA

 

Quel paysage laitier va-t-on voir apparaître en France dans ce nouveau contexte où l’offre n’est plus arbitrée par des règles administratives ? Va-ton assister à des dynamiques territoriales divergentes ?

Vincent Chatellier - Le passage d’une régulation de l’offre par les quotas laitiers à une régulation par des contrats est susceptible de conforter le mouvement observé, depuis quelques années déjà, de concentration de la production dans les bassins de production les plus denses. Outre le rôle joué par les quotas dans le processus de territorialisation de l’offre, de nombreux autres facteurs interfèrent aujourd’hui : en zones de polyculture-élevage, de nombreux agriculteurs abandonnent le lait au profit de la production de céréales jugée plus rentable et moins astreignante ; le maintien d’une dynamique d’élevage est plus difficile à assurer dans les zones où la densité laitière devient trop faible pour permettre une organisation collective efficace au service des éleveurs ou pour limiter les coûts de collecte. Les régions de l’Ouest et du Nord de la France étant mieux positionnées pour profiter de la croissance des échanges internationaux, elles devraient connaître une légère augmentation de leur part relative dans la production nationale. En dépit de ces arguments et de la profonde restructuration des exploitations (division des effectifs par sept en trente années), la France restera un territoire caractérisé par une forte diversité de modèles productifs.

Il a beaucoup été dit que la suppression des quotas laitiers accroîtrait la volatilité des prix du lait. Nous y sommes. Cette volatilité est-elle toujours aussi probable ?

V. C. - La volatilité des prix dans le secteur laitier européen tient d’abord à l’évolution des équilibres entre l’offre et la demande à l’échelle mondiale. Cela est d’autant plus le cas que la demande de produits laitiers est en croissance (environ +2 % par an), que la production varie d’une année à l’autre en fonction des prix et des conditions climatiques et que les marchés sont de plus en plus internationalisés. La fin des quotas est susceptible de contribuer à une accentuation de la volatilité que dans la mesure où celle-ci induirait, du fait des stratégies adoptées par les industriels au travers des contrats, une hausse si conséquente de la production qu’elle ne serait plus en phase avec la réalité des débouchés au niveau domestique et international. Il est sûrement encore tôt pour dire si le chemin emprunté collectivement et à l’échelle européenne sera effectivement celui-ci. En France, par exemple, la production de lait a été régulièrement inférieure au niveau des quotas au cours des dernières années.

Les producteurs français et leurs entreprises laitières sont-ils suffisamment armés pour affronter cette volatilité ?

V. C. - La volatilité des prix des produits commercialisés, mais aussi des intrants, est perturbatrice pour la stabilité du revenu des différents acteurs impliqués et pour leur permettre d’entrevoir sereinement certaines stratégies d’investissement. Si la volatilité des prix s’applique à tous, certains pays (dont ceux du sud de l’Union européenne) y sont encore plus sensibles que la France en raison de leur faible autonomie au plan alimentaire. La volatilité accentuée des prix implique des adaptations au niveau des politiques publiques. Comme c’est le cas aux USA avec la mise en oeuvre d’une assurance sur la marge, les instruments de la PAC devront évoluer afin de renforcer les mécanismes assurantiels et de gestion des crises. Des modifications au niveau de la politique fiscale peuvent également contribuer à limiter les effets induits par une trop forte variation des prix. Les stratégies déployées par les agriculteurs (épargne de précaution, investissements ciblés sur la création de valeur...) et les entreprises (gestion des flux, accompagnement des éleveurs dans la gestion de leur trésorerie) peuvent aussi aller dans le sens d’une atténuation des impacts. Dit autrement, nous ne sommes pas au bout du chemin des expériences à tenter.

Les entreprises laitières françaises vous paraissent-elles en capacité de renforcer significativement leurs positions à l’international, notamment sur les nouveaux marchés des pays émergents ?

V. C. - Dans ce secteur, les entreprises françaises ont déjà démontré un réel savoir-faire à l’export, notamment pour les fromages et certaines catégories de poudres. Ainsi, les exportations françaises de produits laitiers sont passées de 3,9 milliards d’euros en 2000 à 6,8 milliards d’euros en 2014 (dont 2,2 milliards d’euros à destination de pays tiers non européens). Cette performance des entreprises, qui doit cependant être pondérée par l’existence d’un effet « prix » (hausse des cours internationaux en tendance longue), ne se retrouve pas avec la même intensité dans la plupart des autres productions animales. Le niveau assez compétitif des coûts de production en amont, la régularité des approvisionnements, la qualité et la segmentation des produits, la maitrise de la technologie, la notoriété externe, la puissance commerciale de certains groupes sont autant d’atouts pour déployer des stratégies de conquête de nouveaux marchés. Si les trois quarts des exportations françaises de produits laitiers se font avec des pays européens, plusieurs clients étrangers comptent, avec par ordre décroissant la Chine, l’Algérie, les USA et l’Arabie Saoudite. Près de 90 % des exportations de la France sont orientées vers seulement 30 pays. Il reste donc de nombreuses zones géographiques où nous ne sommes pas présents. Le processus d’innovation et l’adaptation des produits finis aux attentes locales seront deux facteurs essentiels.

La France peut-elle tirer son épingle du jeu dans la grande bataille mondiale du lait qui s’annonce ?

V. C. - À l’exception de quelques concurrents bien identifiés, rares sont finalement les pays qui cumulent autant d’atouts que la France pour tirer potentiellement profit à long terme du marché mondial des produits laitiers. Au niveau des coûts de production en amont, le secteur laitier français bénéficie de productions fourragères de qualité avec des rendements élevés (ce qui limite les coûts en alimentation) ; d’un accès souvent aisé à la ressource en eau (voir le cas de la Californie) ; de disponibilités foncières avec un coût modéré d’acquisition ou de location. La compétitivité externe de certaines entreprises est aussi une force. Plusieurs faiblesses doivent être mentionnées : la consommation nationale de produits laitiers étant située à un niveau record dans la hiérarchie mondiale, elle devrait légèrement baisser dans les années à venir; le départ à la retraite attendu de nombreux éleveurs implique de favoriser l’installation et de trouver des moyens de financement adaptés aux générations ; nombreux sont les producteurs qui ne sont pas capables de moderniser leur outil de production et d’accéder aux nouvelles technologies de traite, faute de moyens financiers suffisants pour investir dans des conditions économiques confortables.

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