Produits laitiers : la Chine s’enrhume, les marchés toussent
La Chine donne le la sur les marchés mondiaux des produits laitiers. Quand elle tousse et qu’en plus la production plafonne, les intrants augmentent, la demande se tasse, les produits laitiers se retrouvent dans la tourmente.
Les marchés des matières premières agricoles subissent « les chaos sanitaires, climatique et géopolitique » depuis plus d’un an. Le déclenchement de la guerre en Ukraine au 24 février n’est venu qu’accentuer une situation déjà perturbée notamment par la pandémie. « La flambée des matières premières a débuté dès juin 2020 et s’est amplifiée en 2021, avant de connaître un acmé fin février-début mars », rappelle Philippe Chotteau, chef du GEB – département économie de l’Idele, à l’occasion de la onzième édition des conférences « Les marchés mondiaux du lait et de la viande » de l’institut. À cela s’ajoute une gestion du Covid très divergente en Chine, en Inde ou encore au Brésil, l’accélération du réchauffement climatique, surtout dans l’hémisphère nord, qui pèse sur les récoltes, la déstabilisation des marchés par le début de la guerre en Ukraine.
Des prix des intrants en hausse
La combinaison de tous ces éléments fait que les prix des intrants en France ont fortement progressé, faisant augmenter de 21,6 % en 12 mois à avril 2022 l’Ipampa viande bovine, et de 20,6 % sur la même période l’Ipampa lait de vache. « Ce sont surtout les engrais qui ont augmenté, +100 % en un an, d’abord les engrais azotés, puis après tout l’aliment du bétail, +21 % en un an », précise Philippe Chotteau. Le prix du gaz flambait depuis novembre 2021, avec la guerre en Ukraine, la volatilité est extrême. La parité euro/dollar n’est pas non plus favorable. « L’euro est retombé à 1,06 dollar (au 27 juin, NDLR), cela faisait longtemps que l’on n’avait pas connu ça, et cela renchérit les prix des importations libellés en dollars », détaille-t-il.
La dynamique laitière asiatique
De fait, l’inflation a fait son grand retour avec comme conséquence le recul de la consommation, le renchérissement du coût de financement, et ce, « dans un contexte de transition écologique nécessitant des investissements lourds et sur une longue période », rappelle Thierry Pouch, chef du service des études économiques de l’assemblée permanente des chambres d’agriculture. Certains parlent d’un cycle haussier des matières premières agricoles jusqu’en 2024, comme La Banque mondiale. Ce à quoi Thierry Pouch émet un petit bémol : « Un pronostic haussier durable avait été avancé en 2008 lors de la crise économique et financière. Il a été démenti par la suite. »
Dans ces contextes, les marchés mondiaux des produits laitiers ont plutôt résisté en 2021, notamment grâce aux importations chinoises qui sont restées dynamiques. Si les huit principaux bassins laitiers exportateurs (Argentine, Australie, Biélorussie, États-Unis, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, UE-27 et Uruguay) fournissent 88 % des volumes de produits laitiers échangés dans le monde, ces pays ne réalisent que 35 % de la production mondiale de lait de vache. La dynamique laitière provient principalement de l’Asie avec +10,7 millions de tonnes (Mt) de lait en 2021 (+2,8 % Vs 2020), même si l’Inde demeure le premier producteur mondial (+ 4Mt à 203,5 Mt). Le continent asiatique, Chine en tête, a absorbé à lui seul, 60 % des échanges internationaux en 2021, selon la FAO à 52,8 millions de tonnes équivalent lait (tel).
La Chine, animatrice des marchés
Malgré de la croissance en production laitière et les difficultés logistiques dans les ports, la Chine a encore fortement accru ses importations qui ont absorbé le quart des échanges internationaux de produits laitiers. « La Chine reste au cœur des échanges, avec 22 millions de tonnes équivalent lait importés. C’est spectaculaire. Elle absorbe 30 % des échanges internationaux de produits laitiers. Les signaux faibles de la Chine, animatrice des marchés, sont préoccupants », explique Gérard You, responsable du service économie des filières à l’Idele.
En Europe, la production laitière a faiblement progressé (+0,3 % vs 2020) malgré le tassement dans l’UE-27 de -0,5 % par rapport à 2020. Ces disponibilités limitées aux quatre coins de la planète n’ont permis qu’une croissance modérée des échanges internationaux des produits laitiers. Ceux de beurre et de matière grasse anhydre ont légèrement reflué pour cause de demande toujours ferme et croissante dans les bassins excédentaires de l’hémisphère nord (UE-27 et États-Unis). Les échanges internationaux d’ingrédients secs (caséines et poudres de lait) ont été plus dynamiques que ceux de fromages.
Des perspectives 2022 pleines d’incertitudes
Les incertitudes sont nombreuses pour l’ensemble de l’année 2022. Même si les tendances 2021 se sont prolongées début 2022, elles ont été exacerbées depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, portant les cours des ingrédients et du prix du lait à des niveaux record. Pour autant, la production laitière ne repart pas dans les grands bassins excédentaires, et en premier lieu dans l’UE-27. Quid des effets de l’inflation et des signaux faibles de la Chine ? « Les stocks sont historiquement bas et peuvent encore baisser », ajoute Gérard You. La relative pénurie de produits laitiers devrait donc demeurer dans les prochains mois et les prix resteront alignés sur ceux des grains et de l’énergie, dans un contexte d’évolution très incertaine de l’économie mondiale à plus long terme, conclut l’Idele.
Zoom sur les poudres de lait infantiles
Seuls les échanges internationaux de poudres de lait infantiles ont décru en 2021 (-17 % à 7,1 milliards d’euros). « Cette baisse est significative alors que le marché est en forte croissance. On peut se poser la question du devenir du marché infantile », estime Gérard You. L’Union européenne à 27 est le premier bassin fabricant et exportateur de laits infantiles très loin devant la Nouvelle-Zélande. Et la Chine en est le premier importateur mondial. La faiblesse de la demande a joué sur le ralentissement des échanges en 2021. Ses importations de laits infantiles en poudre ont chuté de 22 % en 2021 par rapport à 2020 à 273 000 tonnes. Et cette baisse est perceptible surtout dans l’Union européenne à 27 (197 300 tonnes) et secondairement en Nouvelle-Zélande (60 600 tonnes). Les Pays-Bas et l’Irlande ont été davantage affectés que la France (-14 % à 33 300 tonnes). Parmi les principaux importateurs, le Royaume-Uni a quasi maintenu ses achats (-2 % à 70 000 tonnes), la Malaisie et le Vietnam les ont faiblement réduits (-5 %). L’Asie de l’Est et du Sud-Est absorbe à elle seule 40 % des échanges internationaux. Le continent africain serait le deuxième marché (245 000 tonnes en 2020).