Chronique
OP, AOP et concurrence après l’arrêt de la CJUE
La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 14 novembre dernier, dans l’affaire des endives, un arrêt attendu. Explication de texte.
Saisie par la Cour de cassation française, dans le dossier des endiviers, d’une question préjudicielle portant sur la prééminence entre les règles de la politique agricole commune (Pac) et celles de la concurrence, la CJUE a délivré, dans son arrêt du 14 novembre 2017, un mode d’emploi clarifiant incontestablement la situation, même si quelques incertitudes demeurent.
Primauté de la Pac
La Cour affirme tout d’abord que l’article 42 du traité reconnaît la primauté de la Pac par rapport aux objectifs de la concurrence et que le législateur communautaire dispose dans ce domaine du pouvoir non pas d’établir de simples dérogations mais, mieux, d’exclure du champ d’application des règles de concurrence des dispositions pratiques qui, si elles intervenaient dans un secteur autre que celui de la Pac, en relèveraient.
Elle souligne ensuite que, sauf à priver les OP et AOP, considérées comme les cellules de base de la mise en œuvre de la Pac, des moyens leur permettant d’atteindre les objectifs qui leur sont confiés et donc à remettre en cause l’effet utile de l’OCM, leurs pratiques strictement nécessaires pour atteindre un ou plusieurs de ces objectifs doivent échapper, notamment, à l’interdiction des ententes. Mais, rappelle la Cour, la portée de cette exclusion doit être d’interprétation stricte, l’OCM ne constituant pas un espace sans concurrence.
Coordination possible au sein d’une OP ou d’une AOP reconnue
Dans ce contexte, la Cour fixe une première règle : la pratique concernée doit être mise en œuvre par une entité effectivement habilitée, ayant fait l’objet d’une reconnaissance par l’État membre : sont exclues les ententes (puisqu’il s’agit bien de cela) incluant des entreprises autres qu’une OP ou AOP reconnue.
Deuxièmement, l’entente doit demeurer interne à une seule OP ou une seule AOP, et donc pour ses seuls membres : la coordination ou la concertation n’est possible qu’entre producteurs membres d’une même OP ou d’une même AOP reconnue. Des pratiques établies entre plusieurs OP ou entre plusieurs AOP excéderaient, selon la Cour, ce qui est nécessaire à l’accomplissement de leurs missions.
Troisième règle : les pratiques convenues entre producteurs d’une même OP ou AOP reconnue doivent s’inscrire effectivement et strictement dans la poursuite du ou des objectifs qui lui ont été assignés – ou qu’elle s’est statutairement assignés – en conformité avec l’organisation commune des marchés (OCM). Ainsi, assurer la programmation de la production et son adaptation à la demande, concentrer l’offre et mettre en marché la production des membres ou régulariser les prix à la production sont des objectifs établis par l’OCM qui impliquent nécessairement des échanges d’informations stratégiques entre les producteurs membres de l’OP ou AOP. Ces objectifs peuvent donc justifier une coordination, y compris en ce qui concerne la politique tarifaire des producteurs agricoles individuels membres, notamment lorsque l’OP ou AOP s’est vue confier par ses membres la charge de commercialiser l’ensemble de leur production.
Ambiguïté sur le transfert de propriété
Mais, et c’est la quatrième règle, lorsqu’une part des produits est commercialisée par l’OP, la fixation collective de prix minima de vente au sein de l’OP ou AOP ne peut empêcher les producteurs écoulant la part de leur production qu’ils sont autorisés à vendre eux-mêmes de pratiquer un prix inférieur à ces prix minima.
À aucun moment la Cour n’évoque le transfert de propriété au profit de l’OP ou AOP comme condition de l’exclusion des règles de concurrences et, par l’usage du mot « notamment », elle ne semble pas exiger que la commercialisation soit assurée collectivement. Reste, et c’est l’incertitude, que la marge semble étroite s’il est question de prix ; elle l’est sans doute moins pour ce qui est de la programmation de la production et les échanges d’informations.
Les règles dégagées ne sont pas nouvelles, mais elles ont le mérite d’être fermement énoncées et de clarifier un contexte que la pratique décisionnelle de la Commission ou de l’Autorité de la concurrence française avait rendu illisible.
LE CABINET RACINE
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