Relations commerciales
Les neuf propositions de Serge Papin pour renforcer la loi Egalim
Constatant que trois ans après la publication de la loi Egalim, les agriculteurs restent le « maillon faible de la filière », l’ex-patron de Système U, missionné par le gouvernement formule neuf mesures pour redonner de la valeur aux matières premières agricoles.
« L’action du gouvernement a permis des avancées en matière de négociations commerciales, même si les hausses passées, en particulier en matière de produits à forte composante agricole, ne sont pas au niveau nécessaire pour couvrir l’augmentation des cours de matières premières agricoles » : tel est le bilan des négociations commerciales dressé par le gouvernement à l’issue du dernier comité de suivi des relations commerciales le 24 mars 2021. Du côté des industriels (représentés par l’Ania, La Coopération agricole, la Feef et l’Ilec), on évoque de manière unanime des « négociations plus dures que celles des années précédentes ». Quand FNSEA et JA, qui ont manifesté leur mécontentement jusqu’au dernier jour des négociations, déclarent : « Ce ne sont pas les faibles hausses de prix accordées par la grande distribution qui sont de nature à nous rassurer. »
Passer du rapport de force à la contractualisation
Face à cette situation qui est ressortie des 70 auditions effectuées depuis le mois d’octobre, Serge Papin a remis le 25 mars son rapport à Julien Denormandie et Agnès Pannier-Runacher. « Nous sommes toujours dans un rapport de force qui est inversement proportionnel à la concentration des opérateurs. Les plus forts et les mieux organisés, en l’occurrence la grande distribution et les grandes entreprises, sont les gagnants du système actuel », constate-t-il. L’ex-patron de Système U formule ensuite neuf recommandations pour renforcer la loi Egalim, trois ans après sa publication, avec comme philosophie « de passer du rapport de force à la contractualisation ».
Un prix garanti en cour de ferme
La première et la plus forte mesure propose de rendre le contrat obligatoire entre le producteur et l’industriel de première transformation avec un prix établi à partir d’une référence validée par les deux acteurs. Elle pourra prendre appui sur les indicateurs de coûts de production interprofessionnels ou l’indicateur de FranceAgriMer. Ces indicateurs de prix de référence devront prévoir des clauses mécaniques d’indexation du prix basées sur la hausse ou la baisse des intrants. Exit le ruissellement, qui n’a pas fait ses preuves, Serge Papin propose « un prix garanti en cour de ferme » via le contrat, de préférence pluriannuel (de trois ans renouvelables). Et ce, pour les produits alimentaires de première transformation ou à forte composante de matière première agricole, tels que la charcuterie et la boulangerie.
Système de transparence et renforcement de la médiation
Dans sa deuxième proposition, constatant le manque de confiance entre acteurs d’une même filière, l’ex-patron de la distribution préconise de mettre en place un système permettant le partage d’informations confidentielles avec un tiers de confiance. L’idée : établir des indicateurs anonymisés afin de connaître et de comprendre la création de la valeur dans la filière. Cette démarche est actuellement testée dans la filière lait avec le cabinet Oliver Wyman.
Alors que le médiateur des relations commerciales est de plus en plus sollicité (une quarantaine d’entreprises l’ont saisi durant ces négociations), Serge Papin propose de lui attribuer une position d’arbitrage permettant de trancher.
Encadrer la promotion lors des dégagements
Afin d’améliorer la perception de la valeur de l’alimentation, il recommande aussi d’encadrer la promotion concernant les dégagements. Pour ces promotions, la publicité devrait être interdite en dehors des magasins, que ce soit dans les prospectus, sur les sites internet ou encore les affiches et applications.
Pour rééquilibrer le rapport de force dans les négociations commerciales, Serge Papin préconise encore de : renforcer l’affichage de l’origine France des ingrédients et des produits, faire preuve de discernement sur les pénalités logistiques pour les produits vivants, renforcer les organisations de producteurs ou encore accélérer la transformation des coopératives pour développer davantage la logique contractuelle rémunératrice entre l’adhérent et la coopérative. Enfin, il est indispensable, selon l’ex-patron d’enseigne, de « mettre en place une véritable éducation nutritionnelle et agricole des plus jeunes dès le primaire ».
Sur le papier, c’est très séduisant, dans la pratique, c’est compliqué
Une partie des propositions de Serge Papin nécessiterait de passer par la loi. Elles s’ajoutent à celles des députés Thierry Benoit et Grégory Besson-Moreau. « La Loi Egalim a permis de vrais changements, notamment sur l’état d’esprit général. Mais nous devons aujourd’hui aller plus loin et nous activerons tous les leviers possibles pour y arriver », a commenté Julien Denormandie après la remise du rapport.
« Sur le papier, c’est très séduisant, mais dans la pratique cela peut s’avérer très compliqué notamment pour les produits composés de nombreuses matières premières, de matières premières fabriquées à l’étranger, de matières premières qui proviennent de plusieurs sources de production, etc. », analyse l’avocat Nicolas Genty, fondateur du cabinet Loi & Stratégies, à propos de la mesure phare de Serge Papin. « La loi Egalim est une bonne base, mais il faut la préciser », estime-t-il. De véritables ressources doivent être allouées au contrôle de la loi et les indicateurs se développer, pointe l’avocat.
L’industrie demande la liberté de tarif
« Toute seule la non-négociabilité du prix agricole va créer un effet ciseau pour les transformateurs PME qui vont être pris en étau s’ils n’ont pas les moyens de répercuter ces hausses dans leur tarif au distributeur », a réagi Dominique Amirault, président de la Feef, à la sortie du rapport de Serge Papin. Et le représentant des PME de défendre l’idée qu’il faut rendre à l’industriel la liberté de son tarif pour prendre en compte les coûts agricoles et les coûts de transformation. Une position désormais également partagée par l’Ania, La Coopération agricole et Ilec. « Seule une véritable liberté tarifaire, au-delà des propositions sur la pluriannualité des négociations, sur la transparence ou la contractualisation, permettra la réussite d’Egalim », déclarent ainsi d’une seule voix les quatre organisations.