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Les marques de distributeurs sous liberté surveillée ?

Un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 5 janvier 2016 dans une affaire opposant Savencia à la fromagerie Guilloteau soulève de nombreux points sur la protection et la fourniture de produits sous marques de distributeurs. Décryptage.

Juridiquement, la production et la fourniture de produits sous MDD ne se réduit pas à un contrat d'affaire annuel, mais prend la forme d'un contrat d'entreprise sous-tendu par un cahier des charges du distributeur qui définit les caractéristiques principales du produit souhaité. L'industriel va donc procéder à des investissements spécifiques que la Loi protège en prévoyant que lorsque la rupture d'une relation commerciale établie porte sur un tel produit, le préavis est du double de celui qu'il conviendrait de respecter pour un produit standard.

Dans ce contexte, la cour d'appel de Versailles a rendu au début de l'année 2016 un arrêt remarqué qui pose plusieurs questions. Le groupe Bongrain, aujourd'hui dénommé Savencia, a créé en 1956 un fromage à pâte fondante dénommé Caprice des Dieux, en forme de calisson, ayant pour code couleur le bleu. Ce produit sera décliné en MDD, en formats 200 et 300 gr, comme le Caprice des Dieux, par l'industriel lui-même, sous les marques Cœur de crème pour l'enseigne Leclerc, et Cœur complice pour Carrefour.

Chacune va par la suite faire fabriquer ces MDD par des concurrents du groupe Bongrain, sans que celui-ci ne dise rien. Puis Bon-grain va lancer, en 1988, le mini-Caprice vendu par 3 portions de 50 grammes, que les deux distributeurs susvisés vont souhaiter étendre à leur gamme MDD res-pective, en 2010, au moyen d'appels d'offre, auxquels le groupe Bongrain ne soumissionnera pas. D'après l'arrêt, aucun de ces appels d'offre ne décrivait les caractéristiques du produit fini. Une fois les produits commercialisés, Bongrain va demander sans succès au fromager retenu, le même pour les deux enseignes, d'en modifier les emballages qu'il jugeait trop proches du Mini-Caprice.

Reprise des investissements

Pour ce fromager, les produits étaient banals, différents du Mini-Caprice, et seulement inspirés par les formats familiaux de MDD préexistants. Contrairement aux premiers juges, la cour d'appel réforme et retient la concurrence déloyale en raison du risque de confusion créé, et le parasitisme en raison de la reprise des investissements de Bongrain. Là n'est pas l'apport de l'arrêt, car, même si la cour admet qu'aucun des éléments constitutifs des emballages litigieux ne caractérise à soi seul un acte déloyal, leur ensemble révèle la reprise sans nécessité de multiples caractéristiques du produit Mini-Caprice des Dieux.

L'analyse en combinaison des différents éléments soumis n'est pas nouvelle, et dès 1999, un opérateur s'était vu condamner, avec confirmation en appel, pour avoir repris à son compte une gamme de produits cuisinés selon des re-cettes originales, quand bien même les emballages en eux-mêmes présentaient des différences.

Droit moral ou propriété intellectuelle

En revanche, dans le cas présent, le fromager exposait que la commercialisation de Mini-Cœur Complice et Mini-Cœur de Crème n'était pas plus fautive que la commercialisation de Cœur Complice et Cœur de Crème grand format réalisée, à l'époque, par le groupe Bongrain lui-même.

Cet argument n'est pas retenu, ce qui est très surprenant. En droit de la propriété intellectuelle, la notion d'épuisement fait obstacle à ce qu'un titulaire s'oppose à la commercialisation ultérieure d'un produit qu'il a lui-même mis en marché, ou à laquelle il a consenti. Ici, aucun droit de propriété intellectuelle n'était invoqué, et la cour ne dit pas que le format mini serait un produit différent du format familial, mais c'est un peu comme si elle reconnaissait au bénéfice de l'industriel, qui a décliné son princeps en MDD, une sorte de droit moral comme en droit d'auteur. Si c'est cette conclusion qu'il faut tirer de l'arrêt, au-delà de l'avenir des MDD, la question est vraiment posée de savoir si l'on ne serait pas mieux protégé par l'action en concurrence déloyale que par la propriété intellectuelle ?

MAÎTRE DIDIER LE GOFF

Fort d'une expérience de plus de vingt-cinq années dont vingt ans au sein du cabinet LPLG Avocats, dont il fut associé, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l'entreprise et à l'écoute de ses besoins, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d'une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, Maître Didier Le Goff a développé une compétence générale en droit économique qu'il enseigne en mas-ter II Droit du marché de l'université de Nantes, avec une prédilection pour l'agroalimentaire tant en droit national qu'européen ou international. Contact : dlegoff.avocat@gmail.com

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