Contexte
L’emploi, un défi de taille pour les industries de la viande
L’attractivité des métiers est devenue une préoccupation majeure des industriels et particulièrement de la viande. Le secteur est clairement touché par un manque criant de main-d’œuvre.
Ces dix dernières années, les restructurations menées dans les industries des viandes n’ont pas joué en faveur d’une hausse de la masse salariale. Entre 2008 et 2019, les effectifs sectoriels sont ainsi passés de plus de 113 500 salariés à 96 100, soit une baisse de 15 %, selon l’Urssaf. Les estimations pour 2022 font de nouveau reculer cet effectif global à 91 352 salariés. « La situation sanitaire et économique a contribué à accélérer la détérioration de l’activité d’acteurs déjà en difficultés, à l’image de la Société des viandes du Porhoët (suppression de 140 emplois) ou de l’entreprise Paul Toupnot (cessation d’activité s’accompagnant de la suppression de 71 emplois), note Xerfi dans son étude « L’emploi et les ressources humaines dans les industries de la viande ». « Et même si certains opérateurs se montrent offensifs, à l’instar de Bigard (créations de 250 emplois) ou de Désossage Viandes Volailles (DVV, embauche de 50 personnes), le repli des effectifs sectoriels se poursuivra en 2021 et 2022, conséquence de l’augmentation des défaillances d’entreprises comme l’illustre la mise en liquidation judiciaire de l’abattoir de Riberac (Dordogne) en février 2021 », ajoute la société d’études.
Une pyramide des âges stable qui tend à vieillir
Au-delà cette problématique économique qui est réelle, les défis de l’emploi dans la viande sont bien plus vastes. L’attractivité des métiers est clairement l’enjeu majeur des industriels pour les années à venir. Même si la pyramide des âges n’est pas encore en déséquilibre, elle tend à le devenir. « La pyramide d’âge dans l’industrie avicole est restée relativement stable sur les trois dernières années. L’âge moyen est de 44 ans, le tiers des effectifs a plus de 50 ans et 16 % ont plus de 55 ans », explique Isabelle Guillotel, déléguée générale du Cnadev, et membre de la commission sociale de la branche avicole, « l’ancienneté se situe aux alentours de 15 ans, donc les salariés restent en poste. Notre problème n’est pas la fidélité mais le recrutement. Nous recrutons mais insuffisamment au regard des besoins ».
Nous sommes quand même le 2e recruteur du secteur agroalimentaire
Même constat dans la charcuterie. L’ancienneté des salariés était de 10 ans, en 2019, selon les données de la Fict. Parmi les ingénieurs cadres, ils étaient 16 % à avoir plus de 55 ans, 17 % parmi les ouvriers employés et 9 % parmi les techniciens agent de maîtrise. Dans l’industrie de la viande, « cela fait quelques années que la pyramide des âges est également assez stable », indique Aurélia Plessy, directrice du pôle social de Culture Viande. « Notre moyenne d’âge reste dans la norme voire un tout petit peu en dessous par rapport à la moyenne nationale », ajoute-t-elle. L’ancienneté dans la viande de boucherie est également assez élevée, d’environ 12 ans. « Nos métiers sont très techniques avec un savoir-faire précis. L’industrie forme beaucoup et notamment à la prise de poste. Nous recrutons beaucoup de demandeurs d’emploi parce qu’il n’y a pas besoin de qualification particulière, l’expertise vient en début de poste. Nous sommes quand même le deuxième recruteur du secteur agroalimentaire », indique Aurélia Plessy.
La maintenance, le point de tension le plus fort
La fidélité des salariés dans l’industrie de la viande n’est clairement pas un souci. Les candidats recrutés y restent et y font carrière. Mais faut-il encore les recruter. « Ces dernières années, on observe une tension sur les recrutements dans un contexte d’activité plus dense. Toutes les entreprises de l’agroalimentaire sont concernées », indique Isabelle Guillotel. Dans la charcuterie, la problématique est tout autant du côté des ouvriers que des cadres, les entreprises étant plutôt dans des zones rurales. Mais certains types de postes sont clairement en tension. « On manque de main-d’œuvre, mais surtout de main-d’œuvre avec une qualification adaptée à nos process, notamment en électromécanique », explique Isabelle Guillotel. Dans la viande de boucherie l’enjeu est similaire. « La maintenance est clairement un point d’attention et de vigilance. Il n’y a souvent pas de profil face aux exigences des entreprises sur les postes au cœur de nos métiers que sont l’abattage ou la découpe », indique Audrey Plessy.
La maintenance est clairement un point de vigilance
Ce manque de main-d’œuvre a des conséquences sur l’organisation de la production. « Il peut y avoir des défauts de production, faute de personnel ; des défaillances de livraison. C’est la double peine avec les pénalités logistiques qui arrivent derrière », fait remonter Fabien Castanier, délégué général de la Fédération des industriels charcutiers-traiteurs (Fict). Les adhérents de la Fict prennent à bras-le-corps ce sujet, en lien aussi avec la transmission des savoir-faire. « L’attractivité faire partie de nos priorités dans les actions que nous allons mener dans les années à venir », ajoute le délégué général.
De manière générale, les entreprises n’ont pas d’autres choix que de former davantage les salariés. « L’effort de formation est nettement supérieur à l’effort national », précise la directrice du pôle social de Culture Viande. « Depuis 2018, la branche a développé des CQPI pour les conducteurs d’équipements industriels, animateurs d’équipe et opérateurs de maintenance, afin de sécuriser les parcours professionnels et favoriser l’employabilité », ajoute Isabelle Guillotel.
Des rémunérations à revoir ?
Si la rémunération n’est pas une explication donnée par les services de ressources humaines, les salaires restent néanmoins peu attractifs. « Avec plus de 45 % des salaires en dessous de 20 000 euros nets annuels par équivalent temps plein contre seulement 22,5 % dans le reste de l’industrie (41 % dans les IAA), les industries des viandes figurent parmi les secteurs les moins rémunérateurs », selon l’étude de Xerfi portant sur des données 2019, « pour preuve, le salaire annuel net moyen était de seulement 22 600 euros en 2015, positionnant le secteur à la 75e place sur les 84 qui composent l’économie française ». Xerfi explique cette situation par le « poids extrêmement important des ouvriers, près des trois quarts des actifs contre moins de 65 % dans l’industrie agroalimentaire ». Cette question de la rémunération sera sûrement à prendre en considération aussi pour améliorer l’attractivité des métiers. D’ailleurs, le groupe EVS a depuis juin 2021, mis en place un bonus à l’entrée au sein de sa filiale EVS découpe. Il a annoncé début novembre le déploiement de ce dispositif sur l’ensemble de ses filiales. Chaque nouvel embauché s’était vu remettre un bonus de 500 euros brut dès la signature d’un CDI. Un moyen pour le groupe de faire face à la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de la découpe de viande. Toute initiative est bonne à prendre !
Faire connaître les métiers
La création de l’Ocapiat en 2019, fusion entre la Fafsea et Opcalim, permet de répondre aux enjeux communs des secteurs de la filière alimentaire sur le développement des compétences et les besoins en recrutement. « Un des axes de la charte est l’amélioration de l’attractivité des métiers avec la mise à jour du site Alimétiers, que nous allons pouvoir utiliser », indique Isabelle Guillotel. La branche volaille n’avait jusqu’alors pas accès à Alimétiers.