« Le risque de déforestation est double pour le bétail »
Selon Alessandra Kirsch d’Agriculture Stratégies, le projet européen de règlement anti-déforestation importée, s’il parvient à s’appliquer, ne remplit pas complètement son objectif et peut pénaliser des filières.
Agriculture Stratégies est une plateforme de réflexion et de communication sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Ce think-tank s’appuie sur des études et recherches appliquées. La direction des études est occupée depuis septembre 2020 par Alessandra Kirsch, agronome et docteure en économie et politique agricole.
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Agriculture Stratégies
Agriculture Stratégies est une plateforme de réflexion et de communication sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Ce think-tank s’appuie sur des études et recherches appliquées. La direction des études est occupée depuis septembre 2020 par Alessandra Kirsch, agronome et docteure en économie et politique agricole.
Le Parlement européen a adopté le 19 avril le règlement contre la déforestation importée. Les produits alimentaires concernés sont la viande bovine, le cacao, le café, l’huile de palme, le soja et les produits dérivés de ces denrées. D’autres produits mériteraient-ils d’y être ?
Alessandra Kirsch - Oui, en particulier la volaille. Les volailles, dont les viandes sont importées en Europe, sont généralement nourries avec du soja et d’autres grains susceptibles de contribuer à la déforestation. Si l’on considère uniquement le poulet sud-américain, il représente seulement 6 % des importations européennes, mais 25 % des filets de poulet importés ! Il faut considérer le cumul des agréments bilatéraux en cours ou à venir, qui devient important. Selon une étude de la Commission européenne parue en 2021, les douze accords de libre-échange les plus récents ou en cours de négociation de l’UE entraîneraient d’ici à 2030 une augmentation des importations européennes de 220 000 à 305 000 tonnes de volailles. Il faudrait aussi inclure le maïs et les agrocarburants ; cela a déjà été envisagé.
Que pensez-vous de l’applicabilité de ce texte ?
A. K. - Les importateurs devront remonter la chaîne d’approvisionnement jusqu’à la parcelle de production pour prouver qu’aucune forêt n’y a été récemment déboisée. Pour le soja, c’est relativement simple, d’autant plus que les pays seront classés selon le risque de déforestation. Le cas du bétail représente un double risque de déforestation parce que l’on peut l’élever sur des parcelles issues de la déforestation et l’engraisser avec des aliments à base de soja produit sur de telles parcelles. Pourtant, on ne demandera à l’exportateur qu’un certificat validant le lieu d’élevage. Des contrôles s’imposent déjà au Brésil pour combattre la déforestation illégale, mais ils sont déjà contournés. Par exemple, JBS fait engraisser ses bovins sur des fermes conformes à la législation brésilienne, sans attester de l’origine des bovins. Par ailleurs, rien ne dit que l’Union européenne parviendra à imposer ce règlement à des partenaires commerciaux réticents.
Quelles conséquences économiques envisagez-vous ?
A. K. - Ce règlement peut-être contraignant pour des producteurs qui pourraient ne pas être capables de faire certifier l’origine de leurs produits. C’est ce qui inquiète des opérateurs du commerce équitable comme Max Havelaar. Ce règlement pourrait marginaliser le commerce équitable. La traçabilité pèsera aussi sur les importateurs.
Comment évaluez-vous l’effet de ce règlement sur la déforestation dans le monde ?
A. K. - Seulement un tiers de la déforestation au niveau mondial est à usage des échanges internationaux. Si on ne considère que le soja du Brésil, il est dix fois plus exporté vers l’Asie que vers l’Europe. Les produits qui ne pourront être vendus en Europe le seront dans d’autres pays. J’ajoute que l’alimentation animale dans l’Union européenne utilise peu de matières premières issues de la déforestation. Selon la Fédération européenne des producteurs d’aliments – c’est une estimation de 2019 – 80 % des importations de soja proviennent de zones à faible risque de déforestation, bien que la part des importations certifiées sans déforestation ne soit que de 25 %.