Complément alimentaire : le dispositif allemand censuré

On entend beaucoup parler des compléments alimentaires sous l’angle des allégations botaniques. Mais cette fois, la Cour européenne de justice vient de censurer le dispositif allemand visant à encadrer la fabrication et la commercialisation de compléments alimentaires composés d’acides aminés (1).
Les acides aminés sont des molécules organiques qui, par le biais de liaisons appelées peptidiques, forment les protéines qui constituent, entre autres, nos cellules, nos muscles et nos tissus. Ils sont souvent utilisés comme brûleurs de graisses dans les compléments alimentaires. À cet égard, certains d’entre eux ont récemment été visés dans une étude de l’Anses (Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation) pour leurs effets indésirables d’ordre hépatique (L-tyrosine, β-alanine, L-arginine, etc.) (2)
En Allemagne, tous les compléments alimentaires composés d’acides aminés sont interdits. Cette interdiction de principe est néanmoins tempérée par une procédure de dérogation, basée sur l’article 68 du LFGB (législation portant sur le contact alimentaire, ndlr), qui permet de les fabriquer et de les commercialiser temporairement.
Lors d’une affaire opposant la société Queisser Pharma à l’Office fédérale allemand de la protection des consommateurs et de la sécurité des denrées alimentaires, pour une demande d’autorisation d’un complément alimentaire à base de L-histidine, le tribunal administratif de Braunschweig a été saisi afin de faire constater qu’aucune dérogation n’était nécessaire pour pouvoir fabriquer et commercialiser des compléments alimentaires composés d’acides aminés.
Celui-ci a choisi de demander à la Cour de Justice de l’Union européenne de vérifier la conformité du dispositif allemand au regard du droit européen, et en particulier des principes généraux de la réglementation alimentaire – principe d’analyse des risques (article 6 du règlement n° 178/2002) et de précaution (article 7 du règlement n° 178/2002).
Dérogation, une mesure disproportionnée
Très classiquement, la Cour a, à cette occasion, rappelé que ces principes permettent aux États membres de justifier l’adoption de mesures restrictives, à condition qu’elles soient non discriminatoires, objectives et proportionnées. Ces mesures doivent, en outre, être réexaminées dans un délai raisonnable, en fonction de la nature du risque identifié et du type d’informations scientifiques nécessaires pour lever l’incertitude sur le produit mis en cause.
Elle a, ensuite, jugé que la dérogation octroyée par l’Allemagne, sur une base de trois ans renouvelable trois fois, constitue une mesure disproportionnée pour atteindre l’objectif de protection de santé publique et était, en conséquence, contraire au droit européen.
Mais comme à son habitude, la Cour laisse, à la juridiction de renvoi, le soin de tirer les conséquences in concreto de son analyse.
Justifier les restrictions
Si le raisonnement suivi par la Cour n’a rien de révolutionnaire, il est toutefois intéressant de découvrir ce dispositif allemand, peu cohérent par rapport au principe de précaution. En effet, soit le complément alimentaire est dangereux ou soupçonné de l’être sur des bases scientifiques et il doit être interdit, soit le complément alimentaire est sans danger et il doit, alors, être autorisé sans réserves.
Il est encore trop tôt pour se prononcer précisément sur l’effet qu’une telle décision aura sur le marché allemand et européen. On peut néanmoins déjà supposer que le futur dispositif encadrant la fabrication et la commercialisation des compléments alimentaires composés d’acides aminés, sera moins restrictif et que les États membres de l’Union européenne devront dans l’avenir davantage justifier leurs restrictions, en particulier au regard du principe de précaution.
(1) CJUE, 19 janvier 2017, Queisser Pharma/Allemagne, C-282/15, ECLI : EU : C : 2017:26
(2) Avis et rapport du 7 novembre de l’Anses relatifs aux risques liés à la consommation de compléments alimentaires destinés aux sportifs visant le développement musculaire ou la diminution de la masse grasse
LE CABINET KELLER & HECKMAN
Keller & Heckman est un cabinet international de droits des affaires, spécialisé en droits agroalimentaires, matériaux en contact alimentaires, environnement et publicité, présent à Bruxelles, Paris, San Francisco, Shanghai et Washington. Katia Merten-Lentz est avocate-associée au sein du cabinet Keller & Heckman. Elle est chargée de toutes les questions agroalimentaires, européennes et nationales, et ce, pour toutes les filières de la chaîne alimentaire. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux, auprès des industries de l’agroalimentaire pour la mise en œuvre de la réglementation agricole et alimentaire de l’Union européenne.