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Comment le bœuf argentin se défend

L’interprofession argentine du bœuf fait profil bas sur les réseaux sociaux. De même en Europe où la réputation de l’origine est établie. En Chine, en revanche, elle met les bouchées doubles. Le pays sud-américain n’a jamais autant exporté de bœufs : 708 000 tonnes ces douze derniers mois, tandis que les Argentins en mangent de moins en moins.

L’Institut de promotion de la viande bovine argentine (IPCVA) est un organisme public financé et dirigé par des organisations d’éleveurs et d’abatteurs du pays sud-américain. L’expert consommation de l’IPCVA, Adrián Bifaretti, nous reçoit au 22e et dernier étage d’une tour de verre dominant le centre-ville de Buenos Aires avec vue sur la Maison rose (siège du pouvoir exécutif argentin). Il nous confirme que la consommation de bœuf en Argentine fléchit de manière prononcée : « On est passé de près de 100 kg par an et par habitant dans les années 1970, à 62 kg/an/hab vers l’an 2000, et à 46 kg aujourd’hui. »

Un autre représentant des industriels de la viande, Miguel Schiariti, anticipe même une consommation locale moyenne qui se stabiliserait « autour de 30-35 kg/an/hab, comme aux États-Unis ». « La communication du secteur est désormais axée sur les qualités nutritives de la viande », ajoute-t-il, en déplorant le cas de nouveau-nés pouvant pâtir de carences liées au régime alimentaire de leur mère.

Miguel Schiariti souligne qu'« il faut l’équivalent d’un terrain de foot par vache, en Argentine, pour produire un veau ». « Nos vaches ne manquent pas d’espace. Et n’oublions pas de prendre en compte la capture de carbone de nos prairies pour mesurer l’empreinte environnementale globale de la filière », dit ce vétéran.

Une consommation en baisse

Trois raisons expliqueraient le déclin de la consommation du bœuf en Argentine où il reste une denrée à part, car identitaire et festive. Le poulet a gagné une place équivalente dans l’assiette des Argentins, soit 45 kg contre 22 kg en l’an 2000. La consommation de porc, dans l’intervalle, a doublé, de 8 à 16 kg/an/hab. Et puis, les femmes et les jeunes gens, surtout, modifient leurs habitudes alimentaires. Selon l’IPCVA, il y aurait en Argentine, actuellement, environ 65 % de carnivores, 29 % de flexitariens, 3 % de végétariens et 2 % de vegan. Les femmes fournissent 70 % des rangs des végétariens et les moins de 24 ans représentent 60 % des vegan. « Leur décision est souvent irréversible. Il ne s’agit en aucun cas d’une mode », juge Adrián Bifaretti.

« Mes compatriotes souffrent lorsque le bœuf devient cher, mais ils n’y renoncent pas pour autant, poursuit-il. C’est notre gros avantage, car ils continuent de s’offrir un côtier de temps en temps, quoi qu’il en coûte. Et demandez-leur ce qu’ils pensent du bœuf argentin, ils vous répondront : “Es el mejor del mundo (inutile de traduire, NDLR).” » « Nos tests consommateurs montrent que l’exposition à une image de cheptel au pâturage provoque chez les Argentins des sentiments positifs à 75 %. L’image d’une côte de bœuf grillée, de même, à 82 %. Leurs émotions négatives sont associées à la maltraitance animale. Certes, ils ont souvent une connaissance superficielle de nos systèmes d’élevage. Ce qui pose problème jusque chez les carnivores qui ont tendance à préférer des morceaux de petite taille à la graisse blanche et à la chair rosâtre, incitant les industriels à sacrifier de jeunes bovins légers. Le poids moyen des carcasses destinées à notre marché intérieur est situé autour de 229 kg, cela représente un immense manque à gagner en volume », développe Adrián Bifaretti.

Un débat sur la place du bœuf dans les cantines

Ce problème-là tient tout autant à la recherche du profit maximal de la part des éleveurs qui font tourner leur cheptel à la limite des paramètres de reproduction et d’une loi pas toujours respectée qui impose un poids d’abattage supérieur à 300 kg.

Par ailleurs, la place du bœuf dans les menus scolaires commence à faire débat en Argentine. La municipalité de Buenos Aires a instauré un « lundi sans viande » dans son réseau de restauration. Le ministère de l’Environnement a fait de même avec son « lundi vert ». Toutefois, ces initiatives restent ponctuelles et urbaines. « En province, on respecte le produit, assure Adrián Bifaretti. Et en banlieue, la priorité est de nourrir les enfants de familles pauvres. Il n’y a pas vraiment de parti pris de la part des décideurs publics, pas encore. »

Quelle est la stratégie de communication de l’IPCVA face à l’émergence, récente en Argentine, de groupes d’activistes antispécistes ? demande-t-on. « Nous évitons la confrontation sur les réseaux sociaux, ce qui ne nous empêche pas d’y être actifs en tant que pro-viande. On a fait ce choix-là après avoir constaté que ces gens-là sont bien campés sur leurs positions », nous répond-il.

L’IPCVA est un habitué des Sial de Paris et de Shanghai. Outre sa participation à de tels salons, l’institut argentin est discret en Europe mais actif en Chine. À cela, une raison simple : « En Europe, la réputation d’excellence du bœuf argentin est établie. Inutile d’y communiquer outre mesure. En revanche, en Chine, le défi est double : les gens ne savent pas cuisiner le bœuf selon le morceau, et ils ne distinguent pas la qualité spécifique de l’origine argentine. L’IPCVA a réalisé des campagnes d’affichage sur la voie publique, à Shanghai, en marge du Sial, mais c’est assez onéreux », admet Adrián Bifaretti.

Des importations françaises minimes

L’origine argentine en bœuf reste rare au sein de l’UE pour la seule raison que les flux sont contenus par le système des quotas d’importation. Elle a fait preuve d’une résilience extraordinaire lors de la pandémie de coronavirus.

Les volumes de bœufs argentins importés dans l’UE-27 au cours des dix dernières années sont relativement stables, autour de 35 000 tonnes par an en moyenne, selon les statistiques de la Commission européenne (Eurostat) qui recoupent ceux de l’Institut de promotion de la viande bovine argentine (IPCVA).

Ces flux ont connu un pic en 2019 à plus 50 000 tonnes, mais cette belle dynamique a été cassée net par les confinements successifs liés à la pandémie de coronavirus, le bœuf argentin étant consommé en Europe essentiellement en hôtellerie-restauration. Malgré cela, l’origine a montré une extraordinaire résilience, puisqu’en 2020 et 2021, les volumes de bœufs exportés par l’Argentine, rien que vers l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Italie – ses trois principaux débouchés en Europe – ont été, respectivement, de 38 704 et 37 704 tonnes, selon l’IPCVA, sachant que les opérations avaient été quasiment à l’arrêt durant des mois en 2020.

Les importations européennes de bœufs argentins sont dans leur quasi-totalité le fait des deux contingents à tarif douanier préférentiel que sont le quota Hilton (28 000 t) réservé à l’Argentine et le quota 481 ouvert à ce pays.

Les importations françaises de bœufs provenant directement d’Argentine sont dérisoires, situées entre 10 et 20 tonnes par an, selon Eurostat.

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