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Chronique
Collectifs en agriculture : Fourier de retour

Le projet de loi Alimentation comporte une mesure visant à promouvoir une forme d’agriculture de groupe, « cultivant les valeurs d’entraide et de coopération ». Réaction.

Samuel Crevel, associé du cabinet Racine.
© DR

Qui est soucieux de notre agriculture et de ses acteurs ne peut que se réjouir de l’attention générale prêtée au débat suscité par le projet de loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous », adopté par l’Assemblée nationale le 30 mai dernier et qui sera soumis au Sénat à la fin du mois de juin.

Il est vrai qu’entre dispositions emblématiques (tel le nouveau régime de contractualisation dit inversé) et plus anecdotiques (telle l’obligation pour les restaurateurs de proposer aux clients des « doggy bags »), il y a à manger pour tous les acteurs de la filière agroalimentaire et pour le grand public.

L’une des innovations portées par le projet interpelle particulièrement le ruraliste : la consécration des « collectifs » en agriculture (article 10 quinquiès du projet). Les auteurs de l’amendement dont elle est issue (CE 1986) expliquent en substance qu’il conviendrait de ressusciter cette « agriculture de groupe » qui, adossée sur la « puissance publique » et « cultivant les valeurs d’entraide et de coopération » avait, selon eux, fait ses preuves à l’après-guerre.

Disposition techniquement étrange

Il en résulte une disposition techniquement étrange, non intégrée au Code rural (ni dans un autre texte législatif) et d’une portée normative incertaine entre droit mou et proclamation dure. Le fond ne manque pas non plus de surprendre. Les « collectifs » sont, selon le texte, « composés d’une majorité d’agriculteurs, lesquels ont pour vocation la mise en commun de façon continue et structurée de connaissances ainsi que de ressources humaines et matérielles ». Ils « poursuivent un but d’utilité sociale ou d’intérêt général » et, en partenariat avec « les acteurs publics et privés des territoires ruraux et périurbains », « concourent par leur savoir-faire à la réussite de la transition agroécologique, alimentaire et énergétique ».

On ne peut s’empêcher de rapprocher ces « collectifs » des phalanstères promus, avec un succès très mitigé, au XIXe siècle par le philosophe Charles Fourier, sortes de groupements communautaires alternatifs, inspirés par l’idéal coopératif, destinés à donner un nouveau souffle à l’agriculture et à l’industrie. Sans vouloir mettre en doute les bonnes intentions des rédacteurs de l’amendement, il est permis d’être sceptique sur l’intérêt d’une telle (re)création de quelque manière qu’on l’envisage.

Soit les collectifs sont destinés à devenir de nouveaux « vrais » opérateurs de l’agriculture et l’on peine à discerner quelle place ils pourraient occuper dans un « paysage institutionnel agricole » déjà bien pourvu en acteurs « collectifs » : coopératives, organisations de producteurs, interprofessions, chambres d’agriculture et autres Sica… Soit, ce qui est plus prévisible sachant que les députés n’ont pas entendu les doter de la personnalité morale comme demandé par les auteurs de l’amendement, les collectifs sont destinés à devenir un acteur unévanescent.

Les mêmes règles que les coopératives

Et cette transparence pourrait même devenir inutilité, constatation faite de ce que le texte dispose que les collectifs « s’appuient sur une gouvernance démocratique, collégiale et contractuelle, fondée sur un droit égal de vote pour chacun des cocontractants ». Soit exactement les règles gouvernant les coopératives agricoles (cf articles L 521-1 et L 521-3 du Code rural et de la pêche maritime), lesquelles peuvent déjà accueillir des membres autres que des agriculteurs.

Il est donc à espérer que plutôt que de créer de nouveaux acteurs aux pouvoirs et à la légitimité incertains, les sénateurs s’efforceront de conforter ceux déjà en place plutôt que de les mutiler. On songe notamment, en écho à une précédente chronique, aux coopératives sous la menace d’une ordonnance pétrie de suspicion à leurs égards (article 8 du projet de loi).

LE CABINET RACINE

Racine est un cabinet d’avocats indépendant spécialisé en droit des affaires. Avec un effectif total de deux cents avocats et juristes dans sept bureaux (Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Strasbourg et Bruxelles), il réunit près de 30 associés et 70 collaborateurs à Paris. Samuel Crevel, associé, y traite des questions relatives à l’agriculture et aux filières agroalimentaires. Magistrat de l’ordre judiciaire en disponibilité ayant été notamment chargé des contentieux relatifs à l’agriculture à la Cour de cassation, il est directeur scientifique de la Revue de droit rural depuis 2006.

Racine - 40, rue de Courcelles - 75008 Paris - www.racine.eu

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