« Le Green Deal, c’est une politique agricole d’enfants gâtés »
Dans son dernier ouvrage, coécrit avec Jean-Paul Charvet, Philippe Ducroquet tente de répondre à la question : Comment nourrir la planète, en faisant un tour du monde des politiques agricoles et alimentaires. Interview.
Dans son dernier ouvrage, coécrit avec Jean-Paul Charvet, Philippe Ducroquet tente de répondre à la question : Comment nourrir la planète, en faisant un tour du monde des politiques agricoles et alimentaires. Interview.
Philippe Ducroquet vient de publier un Atlas des politiques agricoles et alimentaires, avec Jean-Paul Charvet. Fort d’une riche expérience agroalimentaire à l’étranger, notamment en Afrique, ancien directeur général d’Unigrains, l’octogénaire revient pour Les Marchés sur son analyse des politiques agricoles et alimentaires dans une trentaine de pays.
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Vous comparez les politiques agricoles dans une trentaine de pays. Est-ce qu’il y a une politique agricole idéale ?
La position des pays riches et des pays pauvres n’a rien à voir. Dans un cas, la productivité c’est un gros mot, dans l’autre c’est nécessaire. Comprenez, un paysan, en Afrique, travaille en moyenne 1 ha et produit dessus 7 quintaux, de mil par exemple. En Occident, la productivité par actif est 1000 fois supérieure ! Je comprends les motivations, mais le Green Deal, c’est une politique agricole d’enfants gâtés ! On enterre les paysans !
Il n’y a pas de modèle idéal. Un pays comme le Botswana, désert, mais avec des pierres précieuses, adopte logiquement une politique alimentaire libérale qui se base sur les importations. Le Brésil est très opportuniste. Il a une politique libérale sur les produits pour lesquels il est compétitif, viande, soja, maïs, mais une politique alimentaire forte avec des aides distribuées. Cependant ce pays est protectionniste de son industrie.
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Et en France, faudrait-il être plus protectionniste ?
Déjà il faut une politique responsable. On parle beaucoup de souveraineté alimentaire, mais il faut remettre en perspective, c’est différent de la sécurité alimentaire. La France ne va pas sortir des échanges alimentaires ! Le cacao, le café, même les fraises, nous importerons toujours. D’ailleurs la France reste exportatrice nette. Il faut pondérer la souveraineté avec d’autres enjeux. Nous avons clairement celui des coûts de production.
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En Ukraine ou en Russie, les coûts de production du blé, c’est 70 à 80 $/tonnes. En France, aux États-Unis, en Australie, c’est 160 $. On n’a pas les mêmes armes.
L’Europe n’a plus sa place sur le marché mondial ?
L’Europe et les États-Unis sont encore leaders mais peu à peu ils sortent des flux mondiaux. On observe un changement de trajectoires, partant de la Russie, l’Ukraine, l’Argentine, le Brésil, et pour le riz le Vietnam, l’Inde et la Thaïlande, qui va vers l’Asie, et un peu l’Afrique. Les flux changent énormément. Ces derniers temps on observe qu’on s’approvisionne davantage auprès de nos voisins. C’est plus écologique, mais aussi plus économique. On s’approvisionne aussi au sein de blocs idéologiques. Ça se voit beaucoup avec la Russie, qui utilise le blé comme une arme politique auprès des pays d’Afrique et du Moyen-Orient.
Le sujet est la répartition dans la chaîne de valeur.
Pour l’Europe ce sera difficile de revenir dans la course. Les producteurs sont pris dans un ciseau, entre la pression sur les cours et la hausse des charges. Pourtant, payer la qualité, ce devrait être possible. Pas en montant le prix au consommateur, mais en appuyant sur les marges, le packaging, les marques, tout ça coûte cher. Le sujet est la répartition dans la chaîne de valeur.
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Les politiques agricoles doivent-elles promouvoir davantage les protéines végétales ?
Vous savez les pays pauvres, en Afrique, d’ailleurs même en Chine, le lait, la viande, ils en rêvent, ils en ont besoin ! Dans beaucoup d’endroits, les cultures se font aux dépens des éleveurs, il peut y avoir des luttes locales.
En Afrique, d’ailleurs même en Chine, le lait, la viande, ils en rêvent, ils en ont besoin !
Chez nous, en Occident, il y a deux milliards de personnes qui sont « surnourris », le problème c’est l’obésité, ce n’est pas le même raisonnement. Il y aura plus de végétal pour l’équilibre alimentaire.
Peut-on nourrir le monde ?
Il y a encore du potentiel agricole. Que ce soit par les surfaces, mais à mon avis c’est limité, beaucoup moins que ce qu’estime la FAO. Ou par les rendements. Et là il y a un vrai sujet de politique agricole qui pourrait permettre, en démocratisant l’accès aux engrais, à des produits phytosanitaires aux petits producteurs, notamment en Afrique. En passant de 7 quintaux/ha à 10, ça leur permet, toujours avec une agriculture vivrière, d’avoir un peu de stocks, de gérer la période de soudure. Une telle politique ne couterait pas cher. Mais certains dirigeants africains privilégient l’importation, pour acheter la paix sociale dans les villes. Les paysans, c’est la classe qui souffre le plus de faim dans le monde, quelle aberration !
Les paysans, c’est la classe qui souffre le plus de faim dans le monde, quelle aberration !
Au bout d’années de travail, j’ai identifié huit facteurs qui sous-tendent la réussite d’une politique agricole. Les prérequis indispensables, c’est un état effectif et respecté, des infrastructures publiques en milieu rural et le développement des autres secteurs, qui permettent d’absorber la population qui quitte les campagnes entraînant un développement général de l’économie. Ensuite, il faut que la politique agricole et alimentaire vise la modernisation des techniques de production. Qu’elle se fasse avec les agriculteurs, non contre eux. Que les marchés soient organisés, qu’une part importante de la transformation de la production agricole se fasse sur place et que l’état y mette des moyens financiers.
L’Atlas des politiques agricoles et alimentaires est sorti en librairie début février 2024. Ouvrage passionnant et très documenté de 245 pages, il permet de découvrir les raisons de la réussite et des échecs des politiques alimentaires dans 30 pays, riches, émergents et pauvres, sur 5 continents. Richement illustré, avec plus de 350 cartes et graphiques, l’ouvrage donne des clés de compréhension sur des angles inédits. Aux éditions du Rocher. 25 €.