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Confidences d’Arnaud Gaillot au terme d’un mandat intense à la tête des Jeunes agriculteurs

Arnaud Gaillot, président des Jeunes agriculteurs, a accepté de nous recevoir plus de deux heures sur son exploitation laitière à Bouclans dans le Doubs, le 13 mai. Après Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, en février dernier, et Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne, en avril, il se prête au jeu des questions-réponses franches et ce à quelques jours du congrès des Jeunes agriculteurs (du 4 au 6 juin au Futuroscope de Poitiers) durant lequel son mandat prendra fin.

  Arnaud Gaillot, président des Jeunes agriculteurs, devant son troupeau de montbéliardes.
Arnaud Gaillot, président des Jeunes agriculteurs, a reçu Reussir.fr le 13 mai sur son exploitation latitière à Bouclans, dans le Doubs.
© Nathalie Marchand

Comment concilier mandat syndical et métier d’éleveur laitier dans le Doubs ? Quels projets après la présidence des Jeunes agriculteurs ? Quel bilan de la mobilisation agricole et des mesures obtenues de la part du gouvernement et de l’Europe ? Arnaud Gaillot, qui termine son mandat de président des Jeunes agriculteurs, répond sans détours aux questions de Reussir.fr. 

Vous terminez deux ans très intenses à la tête du syndicat des Jeunes agriculteurs, comment conciliez-vous votre métier d’agriculteur et votre fonction syndicale ?

Arnaud Gaillot : Cette question a toujours été partagée avec mon associé et ma compagne. Une salariée du Doubs, à 80%, assure mon remplacement. Cela a été la condition de mon engagement. L’impact sur la vie de famille reste toutefois important. Comme tout engagement il y a des sacrifices et comme on ne peut pas laisser la ferme au second plan c’est souvent la vie de famille qui trinque. 

C’est pour ça que vous avez décidé de ne pas repartir sur un second mandat ? 

J’ai pris la décision à Noël, donc avant la mobilisation. Plusieurs facteurs sont entrés en ligne de compte pour cette décision. Bien sûr il y a le côté personnel avec l’envie de souffler un peu et d’aller sur d’autres projets. Mais je pense aussi qu’il faut savoir passer la main chez les Jeunes agriculteurs. Je suis attentif à ne pas vider les espoirs derrière moi. Si on veut former les agriculteurs de demain, il faut aussi former les responsables agricoles de demain. 

Si on veut former les agriculteurs de demain, il faut aussi former les responsables agricoles de demain

A Bouclans, vous élevez des montbéliardes (90 mères) sur 140 ha dont 10 à 20 ha de céréales, avec une production de 580 000 litres de lait par an, pour la fabrication de comté et morbier via la coopérative les Monts de Joux. Quels sont vos domaines de prédilection ?

Je suis sur une ferme spécialisée en lait, avec l’herbe comme culture dominante. Une herbe dénigrée par beaucoup d’agriculteurs. Pourtant elle représente un vrai potentiel de source énergétique et économique et se trouve au cœur des enjeux de demain. On croise beaucoup les informations avec mon associé, les décisions n’étant jamais prises seul. Pour ma part je suis un peu plus sur les céréales, mon associé étant plus sur la génétique. La Pac c’est moi, la comptabilité, c’est lui, d’autant plus qu’il a travaillé dans un centre de gestion. 

Relire : Qui est Arnaud Gaillot, nouveau président des Jeunes agriculteurs ?

Quel est le bilan social de votre exploitation ?

La salariée ne souhaite pas rester après mon retour sur la ferme en juin. On va sûrement rechercher un salarié en partage.

Vous vous êtes installé en Gaec en 2012, après avoir travaillé dans les travaux publics. Issu d’une famille agricole, vous n’étiez pas sûr de vouloir vous installer directement ?

Je me suis installé en 2012 sur un premier Gaec puis, suite à des divergences nous a décidé de nous séparer et je me suis installé sur ce Gaec en 2014, donc hors cadre familial. Mon père a quitté la ferme familiale en 2003 quand j’étais encore à l’école. J’ai ensuite fait 4 à 5 ans dans les travaux publics, parce que je voulais voir autre chose. Je conduisais une pelleteuse. Cela a été une très bonne expérience pour moi. J’ai pu rencontrer d’autres personnes, voir d’autres catégories socioprofessionnelles. C’est très enrichissant. Cela permet d’avoir un regard différent sur l’agriculture que lorsque l’on n’est jamais sorti de la ferme

C’est dramatique de ne pas sortir de sa ferme !

C’est dramatique de ne pas sortir de sa ferme ! Cela explique que l’on entende cette fameuse phrase : « y’a que nous qui travaillons ». Mais ce n’est pas vrai ! Certes dans notre milieu professionnel, on a des amplitudes horaires plus importantes avec des contraintes mais après on peut s’organiser pour les enfants, prendre des rendez-vous médicaux, aller chez le coiffeur…. Quand on est salariés on ne peut pas. Chaque secteur a ses contraintes et ses avantages. On ne peut pas en vouloir aux autres pour des contraintes liées au métier qu’on a choisi. Je garde contact avec mes anciens collègues ou mon équipe de football et c’est intéressant de discuter avec eux. Cela permet de relativiser ce que l’on voit dans la bulle fermée des réseaux sociaux : non les gens ne passent pas leur temps à parler d’agriculture par exemple.

Lire aussi : Coordination rurale : Véronique Le Floc’h explique pourquoi, selon elle, la mobilisation agricole n’est pas terminée

Installé depuis 12 ans, si vous pouviez recommencer votre parcours est-ce que vous changeriez quelque chose ?

Non, il ne faut jamais regretter le passé. Les choix sont faits et assumés. C’est en faisant des erreurs que l’on se constitue. On peut toujours considérer que l’expérience avec le premier Gaec a été un échec mais c’est bien aussi de savoir dire que cela ne va plus et d’arrêter. 

C’est en faisant des erreurs que l’on se constitue, c’est comme pour la crise, soit on en fait une fatalité, soit on rebondit

C’est comme pour la crise agricole, soit on en fait une fatalité soit on rebondit. 

Vous aviez un projet de séchage du fourrage en grange, avec une récupération naturelle de la chaleur, où en êtes-vous ? Quels sont vos autres projets ?

On l’a fait en 2019, le séchage est mis en service. Lors de mon arrivée on était trois dans le Gaec, un associé a fait le choix de partir en 2016 pour repartir sur sa ferme historique. Il est reparti avec une centaine d’hectares et n’a pas continué l’activité laitière : on a pu garder la moitié de son quota de 350 000 litres. Cela nous amenait à une concentration de 4500 litres de lait par hectare soit dans la limite haute du cahier des charges du comté. 

Pour réaliser notre quota, plusieurs solutions étaient possibles : augmenter le nombre de vaches, améliorer la qualité des fourrages ou accroitre la quantité de concentré par vache. On a fait le choix d’améliorer la qualité du fourrage, on a réussi à augmenter de 4 à 5 litres de lait par vache par jour grâce au séchage du fourrage. On est à 100% du niveau de rentabilité qu’on avait estimé. 

Le séchage se fait avec la récupération de la chaleur sous la toiture que l’on réinjecte en dessous. Cela marche bien, nous sommes satisfaits. 

On aimerait investir dans une citerne bien plus grosse avec une station de traitement pour être en 100% d’utilisation des eaux de pluie

Nous avons d’autres projets comme celui d’investir dans une citerne d’eau. Nous avons déjà deux cuves de récupération d’eau de pluie que l’on utilise pour la salle de traite. On aimerait investir dans une citerne bien plus grosse avec une station de traitement pour être en 100% d’utilisation des eaux de pluie. Il faut faire des calculs.

Il y a deux ans on a investi dans 250 KWc d’énergie solaire avec du photovoltaïque

Nous sommes dans des investissements citoyens. 

Quel est votre point de vue personnel sur l’agrivoltaïsme, nouvelle activité sur laquelle les Jeunes agriculteurs ont beaucoup de réserve ? 

Au sein de notre syndicat coexistent deux opinions tranchées là-dessus. Une partie des adhérents est à 100% pour l'agrivoltaïsme et une partie est plutôt contre. Quand la discussion a eu lieu avec le gouvernement on a durci le ton mais on estime que le texte sur lequel on a atterri laisse la main aux territoires pour trouver le bon compromis. Dès 2019, on avait alerté Alexis Kohler (directeur de cabinet d’Emmanuel Macron) sur le sujet de l’agrivoltaïsme en lui disant qu’il fallait s’en soucier rapidement sinon cela risquait de partir en cacahuètes, et on a eu raison ! Il a finalement fallu créer un texte dans l’urgence et dans la douleur même si on ne s’en sort pas si mal. Pour moi on risquait d’arriver à opposition frontale comme pour l’éolien. 

Si on était restés sur la position contre l’agrivoltaïsme qu’est-ce qu’on aurait apporté à nos adhérents ?

Nos discussions ont eu lieu avant l’explosion de la guerre en Ukraine et celle des coûts énergétiques. Si on était restés sur la position contre l’agrivoltaïsme qu’est-ce qu’on aurait apporté à nos adhérents, comme les producteurs en hors-sol qui ont du mal à mettre des panneaux photovoltaïques sur leurs bâtiments ? C’est le problème de notre métier rien n’est tout blanc ou tout noir, nous sommes soumis à tellement d’aléas ! 

Lire aussi : Agrivoltaïsme : Jeunes agriculteurs appelle à rejeter les projets à plus de 25% de taux de couverture

Seriez-vous prêts à faire de l’agrivoltaïsme sur votre exploitation ?

On ne s’est pas penchés sur le sujet. Mais il faut quand même faire attention à la typicité des territoires et des paysages. Et on a déjà 250 KWc de panneaux photovoltaïques sur les toits. L’agrivoltaïsme est une option si on n’a pas d’autres choix. Mais mieux vaut privilégier les toits. 

L’agrivoltaïsme est une option si on n’a pas d’autres choix

Votre exploitation est-elle rentable ? Sans être trop endettée ?

Oui et nous ne sommes pas trop endettés et comme je l’avais dit publiquement, dès le début des manifestations, je gagne ma vie, ca va ! Il faut aussi le dire quand on gagne de l’argent. Les Français nous soutiennent mais parce que beaucoup pensent que nous sommes dans la misère.

Or je pense qu’il y a des filières qui rémunèrent bien les agriculteurs

Je gagne ma vie, ça va. Il faut aussi le dire quand on gagne de l’argent

Après est-ce qu’on est payés au regard des heures de travail effectuées… mais on peut aussi parler de qualité de vie, et ça, ça a quel prix ? J’estime que la ferme a une situation financière saine. Chacun peut se loger, prendre des vacances, ce n’est pas si mal ! Après on ne va pas s’acheter de yacht ou de jet privé… ! 

Votre prédécesseur est président de France Carbon agri, croyez-vous en une nouvelle source de revenu via les crédits carbone ?

On doit encore faire des diagnostics sur la ferme. C’est une partie de la solution pour rémunérer l’effort de la transition avec les services d’énergie, le gaz vert, et les biocarburants. La France doit se positionner là-dessus. C’est ça l’enjeu à l’issue de la crise. L’agriculture loupe souvent le dernier maillon de la chaîne, là avec France Carbon agri on va jusqu’à la commercialisation. 

Pensez-vous que votre exploitation est assez représentative de l’agriculture française ?

Elle fait partie du paysage français. Ce n’est pas la ferme type mais pour moi l’agriculture française a mille visages. 

Ce n’est pas la ferme type mais pour moi l’agriculture française a mille visages

Comment avez-vous vécu les derniers mois de mobilisation agricole ?

Ils ont été très intenses. C’est une expérience qui fait murir, progresser, c’est une formation accélérée.

Voir tous nos articles sur la mobilisation agricole 

Vous n’aviez pas eu de media training avant ?

(Rires) Non ! Cette expérience restera gravée à jamais. 

Malheureusement cette crise était perceptible. On l’avait vu arriver. Les Jeunes agriculteurs ont été précurseurs dans le Tarn avec l’opération des panneaux retournés. Mais après 2009 et la crise du lait en 2015, une crise multifilière est apparue. Et depuis on n’a jamais réussi à ressortir de l’ornière. On a fait de la médecine de guerre. Depuis six ans que j’ai des responsabilités au niveau national, je vois les agriculteurs au sud de la Loire de plus en plus en souffrance. L’Occitanie, la Nouvelle-Aquitaine et Paca ont cumulé les problèmes liés au climat et aux filières. 

Je vois les agriculteurs au sud de la Loire de plus en plus en souffrance.

Quand Elisabeth Borne nous a reçu en novembre dernier sur la question de la RPD, je lui ai dit « attention c’est plus profond que ça ». Il y a une crise démocratique, une crise de confiance. Les décisions ne s’appliquent pas sur le terrain, c’est comme si le gouvernement n’avait plus la main sur l’administration. C’est pour ça que les gens votent de moins en moins à l’exception des scrutins municipaux. Et je crains qu’on ne le voie encore le 9 juin, même s’il faudrait que ce soit l’inverse. A Noël, le gouvernement a cru que la mobilisation allait s’arrêter et puis avec le mouvement agricole allemand, partagé par les agriculteurs français sur les réseaux, on a senti que ça allait repartir. Lors des vœux du ministre en janvier une ou deux personnes m’ont demandé si le salon de l’agriculture allait être chaud, j’ai répondu que ça éclaterait avant et que ça allait être impressionnant.

L’entente avec Arnaud Rousseau a semblé très bonne, vous vous étiez réparti les rôles ? Les revendications ?

Oui. Assez naturellement. L’un comme l’autre, ce qui nous intéresse c’est la cause agricole, pas la cause personnelle. Sur le positionnement, chez les Jeunes agriculteurs on reste dans la défense de l’installation et on s’est attachés à faire comprendre que certaines choses ont plus d’impact sur les premières années des agriculteurs. 

Y’a-t-il eu des divergences ? Entre vous ? Vos deux syndicats ?

Non, pas de divergence.

Lire aussi : Arnaud Rousseau répond aux critiques avant le Salon de l’agriculture

Quelle a été votre relation aux médias qui ont fait de vous une des figures du mouvement ? Laurence Marandola parle d’un rendez-vous manqué sous l’angle du traitement médiatique, estimant que certains médias sont restés sur l’écume des choses, vous partagez cette opinion ?

Au contraire, je trouve que pour la première fois les médias se sont intéressé et ont découvert l’agriculture dans le pays. 

Il ne faut pas être dupe, c’est la reprise médiatique qui a fait le mouvement

C’était quand même fou de voir le mouvement agricole toute la journée sur les chaînes d’information en continu. Et il ne faut pas être dupe, c’est la reprise médiatique qui a fait le mouvement. Quand on sait comment marchent les politiques, sans emballement médiatique on n’aurait pas eu autant d’écoute. Cela a aussi joué sur la motivation des adhérents. Après cela a été aussi plus difficile de faire redescendre la pression, certains medias aimant bien attiser le feu. 

Lire aussi : Depuis sa ferme en Ariège, Laurence Marandola défend un modèle agricole diversifié et dénonce le traitement de la crise agricole

Cette manifestation de colère, de ras-le-bol des agriculteurs ne risque-t-elle pas d’avoir eu un effet contre-productif envers les jeunes susceptibles de rejoindre l’agriculture ?

C’est un risque. Il faudrait aller sonder les jeunes dans les lycées agricoles, qui sont pleins, pour voir ce qu’ils en ont pensé. C’est dur à percevoir. Mais c’est aussi pour ça que l’on pense qu’il faut entrer dans une nouvelle phase du mouvement.

Aux accusations de cogestion, que répondez-vous ? 

Quand le seul argument de certains est de dire que l’on fait de la cogestion c’est qu’ils n’ont pas grand-chose à proposer. Et à ce compte-là tout le monde est dans la cogestion, il y a autant de cogestion que de corps intermédiaires et de syndicats.

Les 67 mesures du gouvernement et la simplification de la PAC allègent-elles dès aujourd’hui la vie quotidienne des jeunes agriculteurs selon vous ?

On a obtenu 67 mesures sur 120 demandes. Il y a des choses qui ont bougé, sur le curage des fossés notamment, même si c’est plus ou moins long à faire appliquer. Le décret sur la baisse des délais de recours a été publié ce matin. Certains disent « oui mais il y a encore droit au recours », c’est normal dans un état de droit, on peut aussi avoir besoin d’accéder à ces recours. Après certaines choses doivent passer par la loi et vont être compliquées à percevoir sur les fermes. Plusieurs textes vont se succéder, la LOA, la loi phyto en juin, la loi de simplification et puis la proposition de loi Egalim. On verra si les députés qui disent nous défendre vont continuer à nous soutenir dans l’Hémicycle.

On passe à la 3e phase et on doit constater ce qui bouge. Sinon il y aurait un risque de crédibilité et un risque aussi vis-à-vis de l’opinion publique. Il n’y a pas que le monde agricole qui a des complexités administratives. 

Les gens qui attendaient des chèques de x milliers d’euros ne sont pas contents

Alors certes, les gens qui attendaient des chèques de x milliers d’euros ne sont pas contents. De même pour ceux qui voudraient que l’on revienne sur des molécules interdites depuis plusieurs années, comme l’atrazine : ceux-là sont déçus. 

Tous les vendredis on se voit avec Agnès-Pannier Runacher pour regarder les autorisations phytos en Europe et chercher à harmoniser. Ca va dans le bon sens. 

Les choses bougent. L’Europe a revu les règles de conditionnalité. Et la vitesse à laquelle cela s’est fait montre que les agriculteurs ont réussi collectivement à se faire entendre.

Le contexte électoral a sûrement joué aussi…

Oui mais cela veut aussi dire que la Commission européenne a considéré que les agriculteurs constituaient encore un enjeu électoral.

Avec la réforme du plan Ecophyto ne craignez-vous pas d’avoir perdu la bataille de l’opinion publique ? 

Non. Vis-à-vis de certains marchés, on n’abandonne pas l’idée d’une réduction des pesticides et d’interdiction quand il y a un risque, mais on ne veut pas rester sans solution. Il faut plus de moyens dans l’accélération de la recherche. Nous avons plutôt un discours pragmatique en disant n’allons pas trop vite sur certaines normes environnementales. C’est la question de la surtransposabilité. On a tellement demandé au monde agricole ces 10 dernières années que les gens ont un sentiment d’oppression, n’en peuvent plus même si on se dit que la cause est juste. C’est ce que nous avons déjà dit au salon de l’Agriculture. 

On est pour la transition mais contre l’idée de réduire le niveau de production de la ferme France

On est pour la transition mais contre l’idée de réduire le niveau de production de la ferme France. Quand on voit la Russie qui se sert du blé comme une arme (avec par exemple trois bateaux de blé donnés à l’Afrique), il faut faire attention au risque de devenir dépendants. 

En matière de réduction des phytos, des évolutions ont déjà été faites, c’est pour ça que l’on n’était pas d’accord avec l’Ecophyto d’avant. Le nouvel Ecophyto semble plus juste car on part d’un indicateur européen. On veut plus d’Europe et mieux d’Europe.

Il faut faire confiance à la recherche, on va trouver des solutions. Les mêmes gens qui veulent que l’on baisse les phytos sont aussi contre les NBT, mais du coup on fait comment ? Les NBT permettent une multitude de choses, il faut y aller. 

La PLOA est discutée à partir de mardi 14 mai en séance publique. Qu’est-ce qui manque au texte pour que cette loi aide réellement à renouveler les générations agricoles ? 

On tient au diagnostic modulaire. La manière dont c’est écrit dans le projet de loi ne nous allant pas, nous avons fait déposer un amendement via le rapporteur. On a aussi porté d’autres amendements, mais pour nous la loi va dans le bon sens. On y a beaucoup travaillé. Après aucune loi n’est parfaite quand elle arrive à l’Assemblée nationale. Le problème ce sont ceux qui ne cessent de vouloir tout casser.

Lire aussi : PLOA : quelles mesures concrètes pour les agriculteurs dans le projet de loi d’orientation agricole ?

Sur la rémunération des agriculteurs les mesures annoncées par le gouvernement sont-elles suffisantes, que pensez-vous de l’idée des prix plancher, qu’Emmanuel Macron semble avoir oubliée ?

Si les prix plancher signifient de prendre en compte les indicateurs de coûts de production, ça nous va, mais s’ils deviennent des prix de référence, la question à se poser est : veut-on être des agriculteurs fonctionnaires ou veut-on garder notre liberté ? Egalim ne répond qu’à la partie des agriculteurs qui vont sur le marché francofrançais. Pleins de facteurs entrent en compte pour une agriculture qui rémunère correctement (Egalim, des marchés bien calibrés sur le haut de gamme, mais aussi l’entrée et le milieu de gamme…). C’est pour ça qu’aux Jeunes agriculteurs nous proposons des plans et contrats d’avenir. On n’a pas la vocation de dire aux agriculteurs faites ça et vous gagnerez votre vie. Mais on pense que dans chaque territoire, tout le monde doit se poser autour d’une table et réfléchir aux marchés, systèmes résilients par rapport au changement climatique, outils de transformations, et aux volontés politiques régionales.

C’est ce que vous avez dit à Emmanuel Macron quand il est venu discrètement chez vous durant trois heures le 6 février ? 

Cela fait partie des choses qu’on avait dit même dès Terres de Jim en 2022 avec notre manifeste pour l’élection présidentielle. On souhaitait profiter de ce moment pour modéliser la ferme France en 2030 ou 2050. Ca ne s’est pas fait dans le cadre du pacte, puis la crise est passée par là. Il faut le faire aujourd’hui et l’idée a été reprise par le président qui en a parlé lors de notre récente réunion de travail. La Ferme France a toujours évolué de manière plus ou moins visible. Avec le changement de génération ça va encore plus bouger. Les gens évoluent, les modes de consommation aussi. Quand on est producteur soit on impose ce que l’on produit et tout le monde se l’arrache (comme Apple mais aussi dans certaines de nos filières qualité comme la filière comté AOC) soit on répond à un marché et alors c’est compliqué de jouer sur le prix. 50% des agriculteurs partirons en retraite dans 10 ans, avec 200 000 agriculteurs à remplacer. 

Il y a 200 000 agriculteurs à remplacer, beaucoup ne seront pas des fils et filles d’agriculteurs et on pense que c’est une vraie chance

Beaucoup ne seront pas des fils et filles d’agriculteurs et on pense que c’est une vraie chance que des gens arrivent d’autres milieux. Ce sera plus facile pour eux d’entendre qu’il faut faire autre chose. Quand on est issu du milieu on est attaché au patrimoine, à la culture, à la génétique…on a plus de mal à l’entendre. Il faut se saisir de cette occasion et donner des perspectives à ceux qui arrivent. 

On doit réfléchir à ce qui fera la ferme France de demain, aux besoins en produits alimentaires et énergétiques. Il faut anticiper et faire de la pédagogie. On doit trouver notre place sur l’évolution du marché de l’énergie, c’est un enjeu qui va au-delà du monde agricole. 

Lire aussi : Quel représentant professionnel agricole Emmanuel Macron est allé voir dans le Doubs ?

Qu’attendez-vous de sa prise de parole retardée en septembre ? Un changement à 180°C par rapport au discours de Rungis ?

Il a dit qu’il prendrait la parole mais ne souhaitait pas rentrer dans le jeu des syndicats pendant l’élection des Chambres d'agriculture. A la FNSEA et aux JA il nous semble primordial qu’il s’exprime le plus rapidement possible. On attend un discours différent de celui de Rungis. Le Haut de gamme a bénéficié au citoyen, mais il a bénéficié plus à l’aval des filières agricoles et n’a pas permis de faire monter le revenu dans les fermes. Il faut recalibrer le truc. On sent déjà que le discours sera différent puisque lors de la réunion de travail il a aussi dit qu’il fallait servir le milieu et l’ouverture de gamme. Il va aussi falloir adapter les cahiers des charges dans le haut de gamme par rapport au changement climatique. 

Attention qu’on le veuille ou non, la seule variable d’ajustement dans le budget des ménages c’est l’alimentation

Mais attention qu’on le veuille ou non, la seule variable d’ajustement dans le budget des ménages c’est l’alimentation : c’est un constat de société. On le voit dans les filières comté, les ventes se tassent car les prix montent trop fort, il faut être capable de l’entendre et remettre la ferme France en ordre de marche sur différents marchés. Cela peut nécessiter de mettre en pause certaines exigences en termes de transition. Et il faut faire peser la transition plutôt sur le dernier maillon (la distribution et la restauration). 

Avec Egalim, les prix sont aujourd’hui plus haut qu’en 2015 dans le lait et la viande mais il y a eu un effet ciseau avec l’inflation sur les coûts de production. Egalim a fonctionné mais le problème c’est que prix et charges ont monté. Il faut faire peser sur le dernier maillon, pas la transformation, car quel agriculteur peut dire qu’il n’a plus besoin de négoce ou d’une coopérative. Oui on peut vendre à la ferme mais pas tout. 

Lire aussi : Que faut-il retenir de la rencontre entre Emmanuel Macron et la profession agricole ?

Après juin 2024, comme imaginez-vous votre avenir ? Toujours dans le syndicalisme ? Plus à la ferme ? en politique comme certains de vos prédécesseurs ?

Plus à la ferme et à la maison, pour souffler un peu après on verra. Je ne m’interdis rien. Le côté économique, notamment les coopératives, m’intéresse. Je suis convaincu que c’est un vrai levier pour faire des transitions. On attend trop souvent des politiques. Le marché économique peut aussi imposer ses transitions. 

Le côté économique, notamment les coopératives, m’intéresse

Le pacte vert en Irlande est venu de l’industrie coopérative. Il y’a des choses à faire. Mais avant j’ai envie de profiter un peu de la ferme, de ma famille. Ca fait 12 ans que je suis engagé syndicalement, d’abord comme président de canton puis au national au bureau et très rapidement derrière comme secrétaire général en 2019. D’où six ans assez intenses. C’est bien aussi de se ressourcer.

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