Viande : « Il faut redonner à tous les maillons de la chaîne des leviers de compétitivité »
Hélène Courades, directrice de Culture Viande, revient pour Les Marchés sur les grands enjeux de la filière viande, décapitalisation, stratégie abattoir, loi Egalim.
Hélène Courades, directrice de Culture Viande, revient pour Les Marchés sur les grands enjeux de la filière viande, décapitalisation, stratégie abattoir, loi Egalim.
Hélène Courades est la nouvelle directrice générale de Culture Viande, le syndicat qui fédère les entreprises françaises des viandes. Dans un contexte économique, politique et social incertain, elle revient pour Les Marchés sur les principaux enjeux actuels de la filière viande alors même qu’au moins un abattoir ferme chaque mois depuis septembre 2023.
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Les Marchés : Vous arrivez dans une filière avec de nombreux enjeux, quelles sont les priorités ?
Hélène Courades : Les enjeux sont multiples. Le premier est évidemment d’enrayer le phénomène de décapitalisation croissante des cheptels, toutes espèces confondues.
Le premier est évidemment d’enrayer le phénomène de décapitalisation croissante des cheptels, toutes espèces confondues.
Depuis 2016, nous avons perdu plus d’un million de vaches. Concernant notre maillon, cœur de filière, 2024 va être la quatrième année consécutive de baisse des abattages. Beaucoup d’abattoirs ne tournent plus que sur quatre jours par semaine. Il faut endiguer ce phénomène qui fragilise les entreprises.
2024 va être la quatrième année consécutive de baisse des abattages.
On constate également d’importantes difficultés à recruter pour les entreprises du secteur. Nous devons redonner de l’attractivité à nos métiers et être fiers de travailler dans ce secteur !
Les Marchés : La loi EGalim répond-elle à ces enjeux ?
Copier un même modèle de contractualisation d’un secteur agricole à un autre ne peut pas fonctionner. Si l’objectif était louable, sa traduction n’a fait qu’amener de la complexité, en tout cas pour nos filières viandes. Nous sommes très différents des autres industries agroalimentaires dont le schéma, en général, est celui d’assembler plusieurs produits ensemble, quand le nôtre est le désassemblage.
Nous sommes très différents des autres industries agroalimentaires
À noter également que les contrats Egalim concernent le premier acheteur qui, souvent, n’est pas l’outil d’abattage/découpe/transformation (cela peut être des groupements, des négociants et marchés aux bestiaux). Et, dans tous les cas de figure, l’indicateur des coûts de production s’appuie aujourd’hui sur l’indicateur Idele qui devrait sans doute être réactualisé.
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Alors que le taux de contractualisation global dans la filière bovine atteint les 45%, les contrats Egalim plafonnent entre 3 et 5% maximum.
Les Marchés : Maintenant, quid d’Egalim 4 ?
Le Premier ministre a confié le 22 février 2024 aux députés Anne-Laure Babault et Alexis Izard une mission visant à évaluer une potentielle évolution du cadre législatif et réglementaire des lois Egalim et, plus globalement, des négociations commerciales. La note a été publiée malgré l’arrêt de leur travail par la dissolution.
Il convient d’abord de tirer les leçons des blocages actuels au développement de la contractualisation
Elle est intéressante en ce qu’elle rappelle des réalités importantes pour notre secteur : le besoin de compétitivité de l’ensemble des maillons de la chaîne, le besoin d’investissement dans nos industries ralenties par la pression sur les prix des distributeurs, et le risque de rigidifier les relations commerciales producteurs/industriels en rajoutant de nouvelles obligations alors qu’il convient d’abord de tirer les leçons des blocages actuels au développement de la contractualisation.
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Enfin, il faut rappeler que la grande distribution, par son extrême concentration, bénéficie déjà d’un avantage évident dans les négociations commerciales. Elle n’est pas non plus soumise pour ses MDD (Marques Distributeurs) à respecter Egalim, en procédant via le mécanisme d’appels d’offres où bien souvent le principal critère de choix reste le prix en dépit de cahiers des charges toujours plus exigeants.
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Ce contexte de prix d’achat élevé aux producteurs conjugué à la pression de la grande distribution se reflète directement dans les marges nettes de nos entreprises. Elles ont beaucoup reculé. Selon le dernier rapport de l’Observatoire des Formation de Prix et de Marges (OFPM), pour la viande bovine, la marge nette est passée de 1,2 % à 0,8 % entre 2021 et 2022 tandis que pour la viande porcine : la marge nette est passée de 2 % à 0,5 % entre 2021 et 2022. Ce sera pire pour 2022 et 2023 avec vraisemblablement un résultat net moyen avant impôt en négatif.
Ce sera pire pour 2022 et 2023 avec vraisemblablement un résultat net moyen avant impôt en négatif
Le maître-mot que ce soit sur le marché intérieur ou à l’export reste la compétitivité. Il faut pouvoir redonner à tous les maillons de la chaine des leviers de compétitivité.
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Les Marchés : Comment va la filière porc ?
Hélène Courades : Il y a quelques semaines, je vous aurais répondu que le porc montrait des signes de stabilisation. Mais nous sommes inquiets de l’annonce d’un cas de peste porcine africaine en Allemagne, loin des zones concernées auparavant. En cette période de mouvements de population avec l’Euro de football et les Jeux Olympiques, nous devons être très vigilants. Il y a aussi le contexte chinois. L’enquête anti-dumping menée par la Chine est un autre point de vigilance. Depuis que l’UE a annoncé taxer les véhicules électriques chinois, les autorités chinoises ont lancé une enquête visant à augmenter les droits de douane sur les produits de porc venant de l’UE. C’est une vraie guerre commerciale.
Les Marchés : Où en est la stratégie abattoir ?
Hélène Courades : La mise en œuvre de la stratégie a été confiée aux DRAAF (Direction Régionale de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt). Chaque région a pris la main, avec une manière de faire assez différente d’une région à l’autre. Il faudra que le prochain gouvernement reconfirme l’orientation de ces travaux. Et l’articuler avec le plan de souveraineté demandé aux filières agricoles afin d’avoir des approches cohérentes par filière et par bassin de production.
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Culture Viande fédère 300 entreprises exerçant leurs activités dans les métiers de l’abattage-découpe-préparation et commerce en gros des viandes, bovine, porcine, ovine, caprine, équine et des produits tripiers. Elles emploient plus de 36 000 salariés partout en France, pour un chiffre d’affaires global de 14 milliards d’euros. Depuis septembre dernier, Culture Viande est présidée par Yves Fantou.