CHRONIQUE
UK : le nouvel eldorado pour l’innovation alimentaire ?
Après le Brexit, c’est au tour des produits dits « santé » (souvent traduits directement de l’anglais par « produits nutraceutiques ») d’illustrer la volonté affichée des Britanniques de se démarquer de l’Europe.
Le groupe de travail sur la croissance de l’innovation et la réforme de la réglementation (TIGRR en anglais) a publié un rapport intitulé « Un nouveau cadre réglementaire audacieux au Royaume-Uni », dont un chapitre est dédié au secteur des produits santé, relevant qu’il s’agit là d’un secteur à haut potentiel. Cette task force propose une nouvelle vision et, surtout, un nouveau cadre légal, afin d’attirer les investissements, en dynamisant l’innovation dans ce secteur prometteur et placer les Britanniques en leader.
Les principales propositions du rapport pour les produits santé
Déplorant la lenteur bureaucratique européenne et son recours systématique au principe de précaution, ce rapport insiste sur l’urgence à prendre en compte et à adapter le cadre réglementaire britannique aux nouvelles technologies. Il cite ainsi l’incroyable potentiel de l’intelligence artificielle (IA), la robotique, les nanotechnologies, la biologie cellulaire, etc.
Cette approche peut avoir de quoi séduire les opérateurs européens parmi les plus innovants, surtout lorsque l’un des exemples cités vise le domaine des probiotiques. Il est décrit ainsi : « Le rythme des biosciences crée un tout nouveau secteur de la santé améliorant les "superaliments" et les suppléments tels que le brocoli enrichi ou les probiotiques, qui ne s’intègrent pas bien dans notre cadre réglementaire traditionnel avec sa séparation binaire des médicaments (MHRA) et ses normes alimentaires (FSA). Une nouvelle voie réglementaire doit être établie pour clarifier la zone grise entre les aliments et les produits pharmaceutiques afin de permettre à ce secteur de réaliser son potentiel. »
Plus généralement, la task force recommande de définir précisément le terme « nutraceutique », afin d’offrir à ce secteur un environnement réglementaire plus souple – notamment par un niveau d’exigence scientifique raisonnable lorsqu’il s’agit d’établir la relation entre l’ingrédient alimentaire et son bénéfice santé.
C’est, en d’autres termes, une acerbe critique (que nous menons tous) à l’encontre du règlement 1924/2006 *, assortie de vœux pieux : « Nutraceutiques 16. Créer un nouveau cadre réglementaire pour la catégorie en croissance rapide des nouveaux aliments et suppléments améliorant la santé afin de promouvoir l’investissement au Royaume-Uni en tant que chef de file dans le secteur nutraceutique. 16.1. Établir des normes réglementaires et des définitions claires pour les « produits nutraceutiques » et créer un environnement permissif pour la réglementation des produits ayant des résultats scientifiques acceptés, afin de former une nouvelle voie de réglementation des produits nutraceutiques plus facile. 16.2. Encourager le NIHR à recueillir des données à l’appui des allégations et à permettre la recherche sur les produits médicinaux et les propriétés de la santé, à diriger les normalisations internationales et à assurer une voie vers le marché, afin que les consommateurs soient conscients des avantages pour la santé et mieux à même de faire des choix éclairés. »
Les échéances concrètes
Il convient de rappeler que cette task force avait été créée, en février 2021, à la demande du Premier ministre, afin de repenser les contraintes réglementaires applicables à plusieurs secteurs spécifiques, à la lumière de cette nouvelle liberté post-Brexit.
Il n’aura fallu à ce groupe qu’à peine plus de trois mois pour renier l’approche européenne, ou à tout le moins, la dénigrer et se poser en chantre de l’innovation alimentaire santé. On ne s’étonnera donc pas que le Premier ministre ait très chaleureusement accueilli les conclusions de ce rapport et se soit engagé à prendre en compte les recommandations dudit rapport au plus vite, afin de démarrer « un nouvel âge d’or de croissance et d’innovation au Royaume-Uni ».
Toutefois, la majeure partie des recommandations de ce rapport porte sur le secteur financier et elles seront, à elles seules, extrêmement lourdes à mettre en œuvre. Aussi, il semble peu probable que l’ensemble des produits santé – objet de ce rapport – voit leur statut juridique brutalement révisé. Mais les Anglais peuvent parfois être très surprenants, surtout lorsqu’ils décident de se présenter comme « une superpuissance scientifique » !
Cabinet Keller & Heckman
Keller & Heckman est un cabinet international de droits des affaires, spécialisé en droits agroalimentaires, matériaux en contact alimentaire, environnement et publicité, présent à Bruxelles, Paris, San Francisco, Shanghai et Washington. Katia Merten-Lentz est avocate associée au sein du cabinet Keller & Heckman. Elle est chargée de toutes les questions agroalimentaires, européennes et nationales, et ce, pour toutes les filières de la chaîne alimentaire. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux, auprès des industries de l’agroalimentaire pour la mise en œuvre de la réglementation agricole et alimentaire de l’Union européenne.