Chronique
Quand le dépôt de marque fait pschitt
À une époque où la communication a pris une importance certaine, il n’était pas extraordinaire qu’un opérateur souhaite réserver une marque sonore. En soi, la marque sonore n’est pas une nouveauté, mais il faut dire que l’exigence de représentation graphique pour pouvoir déposer une marque, aujourd’hui disparue, compliquait singulièrement la donne puisque, concrètement, le dépôt de marque sonore devait nécessairement prendre la forme d’une partition.
Depuis le 1er octobre 2017, pour les marques de l’Union européenne, et le 11 décembre 2019, pour les marques françaises, l’exigence de représentation graphique a disparu, il est donc possible de joindre à la demande d’enregistrement d’une marque sonore un fichier audio représentant le son, sur une clé USB ou tout autre support. Le 7 juillet 2021, le Tribunal de première instance de l’Union européenne a statué sur la décision rendue par la chambre de recours de l’EUIPO qui avait validé le rejet par l’examinateur d’une demande d’enregistrement de marque sonore. Celle-ci se caractérisait par le son qui se produit à l’ouverture d’une canette de boisson, suivi d’un silence d’environ une seconde et d’un pétillement d’environ 9 secondes, tel qu’il était reproduit sur un fichier audio.
Le déposant, qui était un industriel appartenant au secteur de l’emballage des boissons, avait souhaité réserver sa marque pour toutes les classes de produits qui peuvent correspondre à des boissons, et pour la classe 6 parce qu’elle désignait des conteneurs métalliques. Cette marque avait été refusée à l’enregistrement par l’examinateur, approuvé en cela par la chambre de recours qui considérait que cette marque était dépourvue de distinctivité.
La distinctivité d’une marque
Rappelons que la distinctivité d’une marque est la condition essentielle de son existence. Une marque est distinctive lorsqu’elle renvoie le public pertinent à la véritable origine industrielle ou commerciale du produit ou service qui arbore cette marque. Il s’agit donc d’un indicateur d’origine en même temps que la plus importante fonction attribuée par le juge de l’Union européenne à une marque.
Dans le cas d’espèce, le public pertinent était le consommateur d’attention moyenne, et la chambre de recours avait estimé que la marque demandée consistait en un son inhérent à l’usage des produits en cause, de sorte que le public pertinent percevrait ladite marque comme un élément fonctionnel et une indication des qualités des produits en cause et non comme une indication de leur origine commerciale.
Une décision du Tribunal de première instance de l’Union européenne avait déjà dégagé, en 2016, le principe selon lequel le signal sonore, dont l’enregistrement est demandé, doit posséder une certaine prégnance permettant au consommateur visé de le percevoir et de le considérer en tant que marque, et non pas en tant qu’élément de nature fonctionnelle. Par conséquent le Tribunal de première instance ne partait pas de rien.
Le son du pétillement des bulles en question
Le Tribunal rappelle donc tout d’abord que l’appréciation de la distinctivité des marques sonores doit être faite de la même manière que pour les autres marques. Mais elle réfute l’applicabilité au cas de la marque sonore, dont il était saisi, du critère appliqué pour l’appréciation de la validité des marques tridimensionnelles. Ce critère consiste à déterminer si la forme déposée se distingue suffisamment des habitudes du marché sur lequel elle évolue, car la marque demandée ne reproduisait ni la forme des produits en cause ni celle de leur emballage.
Pour autant, le Tribunal considère que le son du pétillement des bulles sera immédiatement perçu par le public pertinent comme renvoyant à des boissons. Par ailleurs, le silence après le son d’ouverture d’une canette et la longueur du son du pétillement d’environ 9 secondes ne sont pas assez prégnants pour distinguer des sons comparables dans le domaine des boissons.
Le simple fait qu’un pétillement de courte durée suivant immédiatement l’ouverture d’une canette soit plus usuel dans le domaine des boissons qu’un silence d’environ 1 seconde, suivi d’un long pétillement, ne suffit pas pour que le public pertinent attribue à ce son une quelconque signification lui permettant d’identifier l’origine commerciale des produits en cause.
Cette décision était importante, parce que c’est la première depuis l’abandon de l’exigence de représentation graphique. Le Tribunal aurait pu mettre la barre tellement haut qu’elle en aurait été infranchissable. Ce ne fut manifestement pas le cas.
Maître Didier Le Goff
Fort d’une expérience de plus de vingt-cinq années, dont près de vingt ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l’entreprise, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire. Il a fondé, en 2018, avec quatre confrères de spécialités et barreaux différents, une plateforme dédiée aux segments de marché de l’agroalimentaire. www.dlegoff-avocat.fr 24 bis rue Greuze 75 116 Paris.