Protection des AOP : des services peuvent être déloyaux
Si, selon les articles 92 et 93 du règlement no 1308/2013 qui porte organisation commune des marchés dans l’Union européenne, seuls des produits peuvent bénéficier d’une AOP, cela signifie-t-il que seules des nominations portant sur des produits peuvent porter atteinte à ces dénominations protégées ?
C’est à cette question très intéressante qu’a répondu la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) par un arrêt en date du 9 septembre 2021 qui n’a pas été très commenté, et qui, pourtant, est extrêmement important pour la protection des AOP.
Le fameux Comité interprofessionnel du vin de champagne (CIVC) faisait grief à un groupe de bars à tapas espagnol d’utiliser le nom Champanillo (qui signifie petit champagne) pour les désigner. Il s’agissait donc d’une enseigne. Or, on apprend à la lecture de la décision qu’à deux reprises, en 2011 et 2015, le CIVC a formé un recours devant l’office espagnol des marques pour s’opposer à l’enregistrement d’une marque Champanillo pour désigner des boissons mousseuses alors que la dénomination champagne bénéficie d’une protection internationale.
Le défendeur à la procédure a donc arrêté de commercialiser ces boissons dans ses bars, mais il a conservé cette enseigne. C’est donc exclusivement sur l’utilisation de ce signe pour désigner, cette fois-ci, exclusivement un service, que le litige a rebondi.
Protection étendue aux services
Pour l’office espagnol des marques et le juge du recours espagnol, la nomination ne posait pas de problème, car les AOP ne peuvent porter que sur des produits, et que, dans ces conditions, le signe Champanillo n’évoquait pas l’AOP champagne, puisqu’il ne visait pas une boisson alcoolique, mais des établissements de restauration qui ne commercialisent pas le champagne.
Le juge suprême espagnol est beaucoup plus circonspect. Il pose donc à la CJUE quatre questions préjudicielles, dont la principale consiste à savoir si la protection des AOP par le règlement en cause au principal s’étend aux services ou si elle se limite aux produits qui utiliseraient directement ou indirectement le nom de l’appellation d’origine de manière à créer une confusion. La réponse est oui.
La protection due à une appellation d’origine implique bien que des services, dont la dénomination serait identique ou seulement similaire – c’est-à-dire de nature à susciter la confusion parmi la clientèle – ne puissent pas être exploités dans un contexte dans lequel les produits bénéficiant de l’appellation d’origine elle-même pourraient être proposés à la clientèle par ce même prestataire de services.
L’enjeu est précisément de savoir ce qu’évoque l’enseigne en question auprès d’un consommateur moyen.
Une réputation indûment exploitée
Si cela évoque l’appellation d’origine protégée prestigieuse champagne lorsque l’on se rend dans un bar dénommé Champanillo, la valorisation du lieu est manifestement usurpée.
La CJUE considère qu’une interprétation du règlement en cause « qui ne permettrait pas de protéger une AOP lorsque le signe litigieux désigne un service non seulement ne serait pas cohérente avec la portée étendue reconnue à la protection des indications géographiques enregistrées, mais ne permettrait pas d’atteindre pleinement cet objectif de protection, dès lors que la réputation d’un produit bénéficiant d’une AOP est également susceptible d’être indûment exploitée lorsque la pratique visée à cette disposition concerne un service ».
La suite de la décision découle de la réponse à la première question. Il s’ensuit que la notion d’évocation d’une appellation d’origine protégée dans un signe concurrent ne nécessite pas la démonstration d’une faute ni même d’un acte de concurrence déloyale.
Il s’agit donc, très clairement, d’une protection objective qui ne nécessite pas de démonstration au cas par cas. Petit à petit, les appellations d’origine sortent grandement renforcées de leur incursion dans le champ du droit de la propriété intellectuelle.
Maître Didier Le Goff
Fort d’une expérience de plus de vingt-cinq années, dont près de vingt ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l’entreprise, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire. Il a fondé, en 2018, avec quatre confrères de spécialités et barreaux différents, une plateforme dédiée aux segments de marché de l’agroalimentaire.