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Négociations commerciales, "il y a urgence à ne pas se précipiter"

« Les négociations 2024 seront d’autant plus tendues que le calendrier sera raccourci à la demande du gouvernement », avertit Hervé Lecaillon, avocat associé au cabinet Fidal, département « Concurrence-distribution ». Entretien.

Hervé Lecaillon, avocat directeur associé du cabinet Fidal.
© Fidal

Les Marchés : Le projet de loi présenté en grande pompe par le gouvernement le 27 septembre entre en débat à l’Assemblée Nationale le 9 octobre. Pouvez-vous nous rappeler le contexte ?

Hervé Lecaillon : La situation est particulière. Le législateur tente pour la deuxième fois en 2023 après la loi Descrozaille, d’intervenir entre dans les relations entre fournisseurs et distributeurs. Mais cette fois, étant donné que linflation ne baisse pas et que les prix restent toujours élevés pour les consommateurs en magasins, le président de la République, Emmanuel Macron et Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, ont décidé de taper du poing sur la table et d’inciter les 75 plus gros fournisseurs français à négocier avec la grande distribution pour proposer une baisse réelle des prix.

Et ce dans le cadre d’un calendrier accéléré. D’habitude, les négociations s’achèvent le 1er mars. Cette année, ce sera le 15 janvier 2024, soit un mois et demi d’avance. Pour le gouvernement, la baisse des prix espérée doit être répercutée au plus tôt en magasin pour répondre aux attentes des consommateurs. Ce projet de loi répond à la défense du pouvoir d’achat des Français face à l’inflation des prix, même si on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a aussi des considérations politiques. (Les élections européennes se tiendront dimanche 9 juin 2024, ndlr).

Les entreprises les plus modestes ont tout intérêt à négocier en même temps que les mastodontes

Quelles sont les particularités de ce texte ?

Il se démarque en ce qu’il ne contient qu’un article et qu’il a été fait pour une durée limitée. Le gouvernement a d’ailleurs sollicité le Conseil d’Etat pour savoir si le projet était conforme. Cette loi va concerner les industriels dont le chiffre d’affaires en France dépasse les 150 millions d’euros ou ceux dont les comptes consolidés atteignent un milliard d’euros. Ce qui exclut de fait les TPE/PME et cela risque d’entraîner une véritable distorsion de concurrence.

Si ces dernières arrivent après les grosses entreprises, elles n’auront que des miettes et risquent de devoir compenser ce que les distributeurs n’auront pas obtenu des grands groupes en termes de baisses de prix ou de budget promotionnel. Les plus modestes ont donc tout intérêt à négocier en même temps que les mastodontes pour éviter de se voir évincer du marché ou de devoir supporter ce à quoi les gros auront renoncé.

Quel va être le parcours du projet de loi ?

Le 9 octobre, il arrive à l’Assemblée Nationale. Or, les députés ont déjà déposé 80 projets d’amendements. Le 23 octobre, il arrive au Sénat où la majorité n’est pas la même qu’à l’Assemblée. Sans oublier les interventions des lobbys qui vont beaucoup compter pour faire modifier le texte.

Pensez-vous qu’il sera facile pour tout le monde de tenir la date du 15 janvier ?

Le délai est court, très court. Les négociations commerciales se tiendront du 1er décembre 2023 au 15 janvier 2024, et pour ce faire, les industriels doivent avoir transmis leurs conditions générales de vente et leurs tarifs aux distributeurs avant le 1er décembre. Or pour certaines industries, le temps presse. Je pense notamment aux industriels des compotes qui vont devoir attendre la fin des récoltes de pommes pour affiner leurs tarifs.

Et tous les fournisseurs ne sont pas logés à la même enseigne. Le prix des matières premières et des matières industrielles (énergie, emballages, transport…) ont varié différemment pour chacun. Il va être difficile de trouver un accord commun qui tienne compte de toutes ces péréquations. Certains industriels, de toute façon, proposeront des tarifs à la hausse.

Or, les distributeurs, de leur côté, attendent des baisses de prix significatives pour réduire la diminution de leurs marges. D’après ce qui se dit en coulisses, ils attendent des baisses de prix allant de -15 à -20%. Mais pour les PME, ces attentes sont situées plutôt entre -5 et -15%.  De toute façon, comme tous les ans, les négociations seront tendues, mais il ne faut pas oublier qu’à la fin, c’est le distributeur qui décide du prix de vente en magasin.

Le gouvernement est déterminé à intervenir pour accélérer la baisse des prix dans les magasins

Ce projet de loi ne risque-t-il pas de faire un bide comme pour la vente d’essence à perte ?

Honnêtement, je ne crois pas. Pour ce qui est de la vente d’essence à perte, c’est la Première ministre Elisabeth Borne qui avait émis l’idée, sans en avoir mesuré toutes les conséquences. Avec les négociations commerciales, c’est différent. Le gouvernement est déterminé à intervenir pour accélérer le processus de baisse des prix dans les magasins.

Est-ce que cette loi est coercitive ?

Oui, des sanctions sont prévues par le code du Commerce. Si au 15 janvier aucun accord n’est signé ou sur le point d’être signé, industriels et distributeurs peuvent être condamnés solidairement à des amendes administratives pouvant aller jusqu’à 375 000 euros.

Ces sanctions seront-elles réellement appliquées ?

Il y aura sans doute des contrôles mais on peut penser que les pouvoirs publics feront preuve de compréhension compte tenu du temps court entre l’entrée en vigueur de la loi nouvelle et la date de mise en œuvre.

Quels conseils donnez-vous à vos clients ?

Mes clients sont pour la plupart des PME/ETI et je leur donne ce conseil : « Il y a urgence à ne pas se précipiter mais il faut se préparer ». Le tarif qui sera décidé va être difficile à faire évoluer en cours d’année et il faut qu’il soit le plus juste possible. Et comme le texte n’est pas encore validé et qu’il va faire l’objet d’actions de tous les lobbys, il convient d’attendre quelques semaines.

 

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