À Milan, mise en perspective d'un futur végétal
La viande se fait discrète à l'exposition universelle de Milan : aucun fumet de grillade au pied des silos du pavillon de l'Argentine ; il faut s'installer à un bar ou un restaurant italien pour déguster un de ces jambons qui les décorent. L'Espagne raconte l'histoire de la tomate, la Chine celle du riz. La Turquie rappelle la naissance du blé et du pain en Anatolie et Mésopotamie. La ruche britannique figure l'enjeu de la pollinisation, la canopée du Brésil vante un pays de cultures respectueuses de la forêt, les containers de Rotterdam présentent les Pays-Bas comme l'unique plaque tournante des produits frais. La République d'Irlande fait exception par la mise en scène de vaches avec leur veau dans les pâturages, à la gloire du label Origin green. La France sort aussi du lot : trois grands écrans émergent du jardin qui précède l'entrée sous la halle, où s'animent des poulets en plein air et des vaches au pâturage. Et la région Rhône-Alpes (présente jusqu'à fin juin) à l'intérieur nous montre l'élevage comme une composante ” des écosystèmes montagnards.
“ Plus d'un milliard d'adultes pourrait être obèse en 2030
Expo Milan invite les pays à prendre position face au défi alimentaire mondial. La planète voit sa population croître doucement vers les 9 milliards d'humains attendus en 2050. Les mégapoles grossis-sent et les campagnes se dépeuplent. Les pays en développement augmentent leur consommation de viande, et de plus en plus de terres sont consacrées à l'alimentation animale. Enfin, la malnutrition et la malbouffe touchent aussi bien les pays pauvres que riches.
Les fruits et légumes peuvent inverser la tendancePlusieurs observations alarmantes ont été partagées début juin à Milan par les 200 participants (scientifiques, professionnels, politiques et institutionnels) à la conférence Egea sur les fruits et légumes. Certaines ressortent dans les conclusions : 50 % de la population européenne est en surpoids ou obèse. Et le surpoids augmente particulièrement chez les jeunes : 1 enfant sur 3 en 2010, contre 1 sur 4 en 2008. Plus d'un milliard d'adultes pourrait être obèse en 2030. Les mauvaises habitudes alimentaires augmentent les maladies cardiovasculaires, les cancers, le diabète. Les maladies dites non transmissibles causeraient 68 % des décès à l'échelon mondial et coûtent 2 000 milliards de dollars par an. L'Egea établit que les fruits et légumes peuvent inverser la tendance.
20 millions de visiteurs sont attendus sur six mois à l'exposition universelle de Milan. 145 pays sont présents à travers 53 pavillons. Le monde végétal est particulièrement mis à l'honneur. Pour ceux qui n'auront pas la chance d'y aller ou n'iront qu'à la fin de l'été, petite visite en images et en mots d'un évènement hors du commun où chaque pays délivre un message au monde.
Quatre « scénarios exploratoires » des systèmes alimentaires en 2050 ont été présentés à la conférence Egea. Ces scénarios ont été imaginés dans le service scientifique de la Commission européenne (le JRC) à la demande de la Direction générale santé. Le but est d'identifier les besoins en>> recherche et les orientations politiques en vue d'une alimentation saine*. Dans le scénario 1, le réchauffement climatique rend les productions agricoles aléatoires. Les consommateurs choisissent les produits les moins chers. Les aliments supportent des transports et conservations de longue durée. L'industrie alimentaire se concentre et s'oriente vers une production de masse au sourcing très international. Ce scénario engendre beaucoup d'obésité et de maladies chroniques. Dans le scénario 2, les ressources ont aussi tendance à manquer localement. À la différence du précédent, les marchés domestiques se replient sur eux-mêmes ou sur des accords bilatéraux. Les embargos commerciaux font rage. En Europe, des systèmes de productions résilients et des économies circulaires se mettent en place. Les toits des immeubles se couvrent de cultures et les producteurs locaux ont la cote.
Régimes personnalisésDans le scénario 3, l'Europe est très affaiblie sur le plan géopolitique et se plie aux standards internationaux. Des multinationales uniformisent l'alimentation. Enfin, dans le scénario 4, la population et les politiques européennes ne pensent plus que santé : l'industrie alimentaire produit des alicaments ; les régimes se personna-
“ Il y aura une fusion entre la santé et la technologie alimentaire
” lisent. Les consommateurs confectionnent des boissons nutritives correspondant à leurs besoins ou des plats grâce à des imprimantes 3D. « Il y aura une fusion entre la santé et la technologie alimentaire ; de nouveaux services vont remplacer la restauration rapide », a commenté Hannelore Daniel, directrice de l'Institut central de recherche sur la nutrition et l'alimentation de Munich.
De nombreux pays exposants ont aussi préfiguré le futur. Les Pays-Bas, par exemple, combineraient le grand commerce international et l'économie circulaire (figurée par une roue de foire) ; la Belgique a présenté des petites installations symbiotiques entre des poissons et des salades (voir photo p. 11). La France combinerait le maintien de la diversité et des savoir-faire et l'ouverture sur le monde.
*Le rapport du JRC « Tomorrow's healthy society » a été publié en novembre 2014.