« Les fonds n’investissent jamais à long terme »
Les Marchés : Les fonds d’investissements font beaucoup parler d’eux avec la flambée des matières premières. Mais depuis combien de temps s’intéressent-ils au secteur et quel est leur poids véritable ?
François Pignolet : A Chicago, les fonds d’investissements sont présents depuis des dizaines d’années. Dans les années 90, on parlait déjà des entrées et des sorties de fonds et l’on mettait la volatilité des marchés sur leur dos, sans forcément avoir toutes les données et instruments de mesure nécessaires. Aujourd’hui, on pense que 37 à 38 % des mouvements sur le marché de Chicago sont issus des fonds, qui sont eux-mêmes de plusieurs types. Il y a des hedge funds qui couvrent une position physique, des commodities funds, et depuis peu on observe l’apparition de fonds d’index, qui investissent des sommes énormes sur les indices de matières premières, comme le GSCI de Goldman Sachs. Ils ont des moyens énormes, et leur entrée ou leur sortie d’un marché peut être très violente. En France, il n’y a pas d’obligation de déclaration, et il est plus difficile d’estimer l’impact des fonds, dont la présence estimée est de l’ordre de 10 %. Mais de plus en plus d’opérateurs historiques se tournent vers eux. L’arrivée de ces investisseurs est positive car elle augmente la liquidité du marché. Mais attention, car même si la spéculation ne concerne que quelques acteurs, c’est suffisant pour déstabiliser les marchés.
LM : Justement, la présence de ces fonds alimente la peur d’une spéculation effrénée. Mais expliquent-ils la déstabilisation actuelle des prix ?
F. P. : Il n’y a pas un facteur de déstabilisation, mais une accumulation de facteurs. Celui dont on ne parle jamais, c’est l’administration du marché par les pays producteurs. Quand nous avons une offre et une demande en équilibre et qu’un pays ferme ses frontières, la réaction est brutale. Ce sont des décisions politiques impossibles à prévoir, et ce phénomène est de plus en plus fréquent (l’Ukraine a opéré de la sorte l’été dernier, ndlr). Cela amplifie les mouvements. A côté de cela, depuis quelques mois, des produits financiers indexés sur les matières premières sont apparus, avec des warrants, des options, des Sicav. L’informatisation a aussi un rôle.
LM : Qu’est ce qui a changé?
F. P. :Auparavant, il y avait un temps de latence pour transmettre les ordres, et plusieurs heures pouvaient être nécessaire pour confronter offre et demande. Aujourd’hui, , tout se passe devant l’écran, on peut vendre en appuyant sur une touche, en quelques secondes, et cela augmente la volatilité. L’information est disponible en temps réel : tout le monde a les mêmes données au même moment, et tout le monde surréagit en même temps.
Chez Epis-Centre, nous avons un intérêt à avoir des bureaux dans les pays producteurs, qui nous permettent d’effectuer une analyse préalable sur les signaux de marché. Car plus le marché est volatil, plus l’agriculteur a besoin d’un cadre de gestion. Actuellement, nous attendons une bonne récolte mondiale de blé, mais le niveau final pourrait être plus faible que prévu. La tendance des prix reste soutenue à long terme, et de façon durable, je ne vois pas le marché baisser.
LM : Des fonds investissent dans les silos ou des capacités de stockage. Est-ce le signe d’un intérêt à long terme ?
F. P. : Un fonds n’investit jamais à long terme. Les sociétés familiales ont des investissements à 10-15 ans, la bourse à 3-4 ans, mais pour les fonds, l’horizon est de 3-4 mois. L’achat de capacités de stockage est destiné à gérer les livraisons possibles du marché à terme, quand ce dernier n’est plus liquide. C’est un mouvement de précaution, qui est nouveau. Le problème, c’est que la logistique est importante pour nous. Il y a des fonds qui ne connaissent pas ce risque logistique, qui n’ont pas la culture de ce métier. Disons qu’à un an et demi, j’ai des craintes. Il ne faudrait pas que quand les fonds partent, le secteur soit sinistré.