Le marché du verre fait face à des difficultés d’approvisionnement
La reprise post-Covid et la guerre en Ukraine sont à l’origine d’une tension inédite sur le marché du verre. Les PME constituent des stocks de bocaux vides. La situation ne devrait pas s’améliorer d’ici à 2024.
La reprise post-Covid et la guerre en Ukraine sont à l’origine d’une tension inédite sur le marché du verre. Les PME constituent des stocks de bocaux vides. La situation ne devrait pas s’améliorer d’ici à 2024.
Comme toutes les matières premières, les emballages agroalimentaires sont touchés par l’inflation dans des proportions inédites. Si aucun type de contenant n’est épargné, une catégorie de contenant alimentaire subit des tensions particulièrement élevées sur son marché : celle des bocaux en verre. Les entreprises de l’agroalimentaire éprouvent de grandes difficultés à s’approvisionner auprès de leurs fournisseurs. « Il y a un alignement des planètes qui va dans le sens de la tension », illustre Laurent Montet, directeur général de René Salomon. La tension sur le marché du verre trouve ses origines à la sortie de la crise sanitaire et a été amplifiée par de nombreux facteurs, dont la guerre en Ukraine.
Une flambée de la demande
Les confinements de 2020 ont entraîné une baisse à deux chiffres de la demande en emballages en verre. « Les verriers pensaient traverser une période longue et difficile. Ils en ont profité pour lancer la maintenance de plusieurs usines, diminuant la production », détaille Nadine Solé, responsable de la commission verre du groupement d’achats agroalimentaires GIE Erosi. En 2021, la réouverture de la restauration a provoqué une demande très forte à un moment où les stocks étaient au plus bas. De l’autre côté, la production n’a pas été assez anticipée. « Le rebond a été plus rapide et intense que ce que nous pensions. En France, nous sommes revenus à des niveaux de production d’avant-Covid », précise Jacques Bordat, président de la Fédération des industries du verre. « Notre industrie est à feu continu. Les verriers sont pied au plancher et tournent à pleine capacité en ce moment. Nous n’avons donc pas la possibilité de faire plus », ajoute-t-il. Certaines entreprises souhaitant, par ailleurs, se désengager du plastique, nombreuses sont celles qui ont profité de la crise sanitaire pour se tourner vers le verre.
Des verreries ukrainiennes bombardées
L’Ukraine est un pays dans lequel se situaient de nombreuses industries verrières approvisionnant l’Europe, mais plusieurs usines ont été bombardées. « Plus de 400 000 tonnes d’emballages en verre étaient produites en Ukraine. La guerre provoque un manque énorme sur ce marché », explique Jacques Bordat. Un vent de panique souffle sur les fabricants de produits agroalimentaires à cause de la tension. Afin d’obtenir ce dont ils ont besoin et de se constituer des stocks, les volumes des commandes augmentent. Le marché se tend d’autant plus, créant un cercle vicieux. « Chaque maillon de la chaîne agroalimentaire amplifie le risque de rupture », résume Brice Canivet, directeur des achats et filières durables du groupe Reitzel. « Nous avons des demandes de pots de yaourt que nous n’avions pas avant », note Laurent Montet.
« Tout le monde ne va pas sortir gagnant de cette bataille » Nadine Solé, responsable de la commission verre du GIE Erosi
Certaines sociétés françaises parviennent cependant à maintenir leurs achats de bocaux en verre auprès de leur fournisseur ukrainien, « mais les prix sont beaucoup plus chers, et seuls les contenants les plus standards sont disponibles », indique Jean-Luc Bertin, fondateur du Clos de Laure, fabricant de produits d’épicerie fine. Les difficultés de l’industrie verrière ukrainienne donneraient une impulsion à celle de Tunisie, où ni le gaz ni le sable ne manquent. Les verriers tunisiens doivent encore acquérir un savoir-faire.
Une envolée des coûts de production
Le facteur le plus pénalisant pour les sociétés agroalimentaires est l’explosion des prix des contenants en verre, qui étaient déjà à la hausse avant la guerre en Ukraine, et qui s’est accentuée après. « Les industries du verre tournent à 80 % au gaz, dont le prix a été multiplié par presque cinq depuis un an et demi, assure Jacques Bordat. Nous sommes obligés de répercuter ces coûts à nos clients. » « Les entreprises agroalimentaires peinent à répercuter ces hausses vers la GMS. Ils sont obligés de les supporter, souligne Nadine Solé. Tout le monde ne va pas sortir gagnant de cette bataille… » Les prix des contenants en verre risquent encore de grimper d’ici à la fin de l’année.
Des choix de contenants mieux valorisés
Si la reprise post-Covid a entraîné une telle tension sur le marché du verre, c’est aussi pour une forte demande de bouteilles en verre, à un moment où les exportations de vins vers les États-Unis ont été très dynamiques grâce à l’abolition de la taxe de Donald Trump. « La fabrication de bouteilles de vins et spiritueux est plus rentable pour les verriers qui ont donc dû faire des choix au niveau planification de leur production », explique Nadine Solé.
« On bricole » Julien Baradat, président de la conserverie Gilbert Baradat
« Certaines références de bocaux ne sont plus fabriquées, car plus assez rentables », ajoute Brice Canivet. Les entreprises peuvent s’orienter vers des alternatives, mais plus chères que les références standards, soit parce que le fournisseur est différent, soit parce que le modèle diffère légèrement. « Nous avons commandé certaines références un peu plus hautes et un peu plus larges. Il ne faut pas que les dimensions diffèrent de trop ou il faudrait réviser toute l’activité de conditionnement. On est passé d’un à trois fournisseurs pour se faire un stock. Actuellement, on bricole », témoigne Julien Baradat, président de la conserverie Gilbert Baradat.
Une importation d’emballages vides
La France est très loin de la souveraineté au niveau de ses emballages, important près de 40 % de ses emballages traités d’Espagne, du Portugal, d’Italie et d’Allemagne. « Les verriers de tous les pays privilégient leurs clients nationaux et de proximité. L’export représente pour eux une variable d’ajustement, qui nous pénalise en tant que Français », détaille Jacques Bordat. La France importait également beaucoup de bouteilles vides de Russie avant le début de la guerre, une demande qui s’est rabattue sur les verriers français. « L’un des plus grands brasseurs français utilise 900 millions de bouteilles vides à l’année. Parmi elles, 150 millions venaient de Russie », note Jacques Bordat. La France est, par ailleurs, très importatrice de petits contenants en verre en provenance de Chine, « mais la production est moindre aujourd’hui », selon Laurent Montet. « La relation entre l’entreprise agroalimentaire et son fournisseur verrier est très importante, avec priorité aux clients fidèles », ajoute Nadine Solé.
Une concentration des entreprises
« L’un de nos intervenants a été racheté par un de ses confrères, qui était aussi un de nos fournisseurs, ce qui a tendance à mettre tous les œufs dans le même panier », souligne Alexandre Guevaer, directeur industriel de la Conserverie du Languedoc. Depuis quelques années, le groupe américain Berlin Packaging rachète petit à petit tous ses distributeurs. « Cette concentration des entreprises inquiète les PME depuis deux ou trois ans », assure Nadine Solé. Des grèves ont perturbé la production chez certains verriers européens, accentuant d’autant plus la tension, comme ça a été le cas pour Verralia fin 2021 et début 2022. En Espagne, la filière a été touchée par la grève des transports.
Pas de retour à la normale avant 2024
Aucun indicateur ne semble aujourd’hui annoncer un quelconque retour à la normale. De nombreuses usines de verreries indépendantes sont actuellement en construction en Europe depuis le début de la pandémie, et devraient être effectives vers 2024. « La situation restera floue jusqu’à l’arrivée de capacités supplémentaires, à moins que la consommation de verre diminue, ce qui n’est pas exclu », signale Nadine Solé. La tension sur le marché du verre prive les entreprises agroalimentaires de toute flexibilité. « Les verriers ne peuvent plus accompagner notre croissance. Toute augmentation de volume non budgétée ou non contractualisée est impossible, alerte Brice Canivet. C’est pénalisant lorsqu’on travaille avec des matières premières fraîches. Ce qui ne peut pas être emballé est jeté. C’est d’autant plus embêtant que la récolte de cornichons sera cette année meilleure que prévu ».
Les sociétés achètent des contenants dès que l’occasion se présente et se constituent des stocks. Si certaines disposent de capacités suffisantes pour accumuler des bocaux, d’autres éprouvent plus de difficultés. « Notre espace de stockage est sursaturé, on ne peut plus y circuler », regrette Julien Baradat. « Nous sommes contraints de stocker à l’extérieur, comme nous l’avons fait en Suisse, ce qui entraîne des surcoûts », raconte Brice Canivet.
Cette tension sur le marché du verre entraîne de multiples surcoûts, différents selon les entreprises. L’urgence est de faire passer ces hausses à la grande distribution, afin de gagner en visibilité. « Avec tout qui augmente, les budgets 2023 vont être très difficiles à établir », conclut Brice Canivet.
en chiffres
x5 pour le prix du gaz
Jusqu’à +30 % sur les coûts de production pour les verriers
Jusqu’à +25 % des prix des emballages en verre pour les IAA
Des alternatives aux bocaux en verre envisagées
Si certaines sociétés envisagent d’autres contenants que le verre, elles sont bien souvent rattrapées par la réalité. « Sur le marché de la boîte métallique, c’est très compliqué aussi », peste Julien Baradat. « Le Doypack a été envisagé, mais il n’y a pas de solution de recyclage pour le multicouche. Opter pour ce plastique serait aller à contresens de l’autoroute de l’Histoire », estime Brice Canivet. Certains fabricants déjà positionnés sur la fabrication de produits contenus dans des boîtes en métal envisagent un changement de contenant. « Nous avons l’équipement industriel adéquat pour une telle possibilité si jamais nous devons le faire. Il y aura néanmoins un coût de développement pour réadapter le packaging », commente Alexandre Guevaer, directeur industriel de la Conserverie du Languedoc.