Lait : « il va falloir réorienter la matière grasse »
Les Marchés : La date butoir des négociations a été repoussée en juillet faute d'accord. Quel est votre sentiment sur cette situation ?
Henri Brichart : Notre crainte et nos inquiétudes portent sur la baisse des droits de douane. L'Europe exporte 350 000 t de beurre sur les 1,6 Mt qu'elle produit chaque année. À la fin de la réforme de la PAC, le prix d'intervention sera de 2200 euros la tonne, contre 1500 pour le prix mondial. Nous sommes incapable de produire à ce prix-là, il va donc falloir réorienter cette matière grasse à l'intérieur de l'Europe. D'ici 2013, nous devrions avoir suffisamment de temps pour nous adapter, si toutefois rien ne change au niveau de l'OMC. Si seules les restitutions sont touchées, nous pouvons réussir à gérer cette difficulté. Mais si on cumule la baisse des restitutions et la baisse des droits de douane, cela sera impossible. Disons que s'il n'y a pas d'accord à l'OMC, cela peut nous arranger.
L.M. : Dominique Bussereau a rencontré les différentes familles de l'interprofession la semaine dernière. De quoi a t-il été question ?
Henri Brichart : Il s'agissait surtout de faire un point d'étape sur les accords de Luxembourg. En conclusion de cette rencontre, il a été reconnu que le monde des producteurs de lait avait bougé, mais qu'il restait à en faire de même au niveau des coopératives et industriels.
Dernièrement, nous avons vu dans l'Ouest la fermeture de la laiterie Nazart (coopérative majoritairement tournée vers la fabrication de produits industriels). C'était la première fois que l'on refusait de prendre leur lait à des producteurs. Et ici, nous ne sommes pas dans le cas des céréales que l'on peut stocker. Avec un tank à lait plein, au-delà de trois jours, ce n'est plus possible de livrer. S'il y a un accord à l'OMC, j'ai peur que l'on se retrouve avec de nombreux cas similaires de laiteries incapables de collecter. Il va falloir trouver des débouchés pour la matière grasse et les produits industriels, sachant que les produits classiques (yaourt, lait liquide) ne peuvent pas absorber tout ce surplus.
L.M. : Vous commencez à avoir du recul sur l'accord signé en janvier. Son application vous paraît-elle pérenne ?
H. B. : Nous sommes en phase de mise en place. Mais que les choses soient claires. Cet accord qui permet d'adapter la problématique beurre poudre à chaque entreprise (en fonction du poids des produits industriels, ndlr) ne doit pas aller plus loin que la réforme de Luxembourg. S'il va au-delà nous disons stop. L'accord possède les éléments pour durer plusieurs années. En dehors du simple aspect prix, il y a un aspect filière, où tout le monde s'est mis d'accord pour travailler main dans la main. Il y a par exemple une conscience qu'il ne faut pas laisser des laits flottants déstabiliser le marché. Il y a trop de lait par rapport à la production européenne. L'enjeu est dorénavant de savoir comment gérer le lait mal valorisé.