Chronique
La non-négociabilité des matières premières en question
La mesure phare du rapport rendu par Serge Papin concerne la non-négociabilité des matières premières entre le producteur et l’industriel de première transformation. Une mesure louable de renforcement de la loi Egalim, mais qui pose des questions de faisabilité juridique.
C’est le 25 mars dernier que Serge Papin a rendu le rapport dont les ministres de l’Agriculture et de l’Économie lui avaient confié l’élaboration au mois d’octobre 2020.
Il s’agissait, selon le titre du rapport, de dresser « le bilan de la loi Egalim » de 2018, mais aussi d’aborder « la nécessité de mieux rémunérer la chaîne de valeur agricole ». La première recommandation du rapport en constitue la proposition phare : Serge Papin prône l’adoption d’un mécanisme qui, s’il devait être retenu, renforcerait sensiblement l’inversion de la construction du prix que la loi Egalim ambitionnait de garantir au profit des producteurs, c’est-à-dire sa construction à partir du prix de la matière première agricole.
« Sanctuariser » le prix entre le producteur et l’industriel de première transformation
Il propose en effet de « sanctuariser » le prix convenu entre le producteur et l’industriel de première transformation ; plus exactement, la référence de prix convenue par les parties, indexée de façon automatique sur des indicateurs de coûts de production. Cette formule de prix formant la « quote-part de matière première agricole » serait fixée dans le cadre d’un contrat pluriannuel et ne pourrait plus être négociée dans la chaîne de contrats ultérieurs.
Le prix payé par le premier transformateur pourrait même figurer sur les factures aval de façon distincte. Intouchable dans la chaîne contractuelle et les négociations qu’elle implique, en particulier la négociation entre transformateurs et distributeurs, ce prix – ou en tout cas l’application de la formule de prix convenue – du premier contrat serait ainsi garanti au producteur. Il échapperait aux conséquences des négociations de tarifs entre les industriels et les distributeurs, aussi bien qu’à la guerre des prix que se livrent les enseignes.
Une obligation actuelle a minima
Une telle formule serait effectivement plus efficace, au regard de son objectif, que les dispositions introduites dans le Code rural par la loi Egalim. Il est rappelé qu’en vertu de celles-ci, les contrats de vente de produits agricoles à leur premier acheteur, lorsqu’ils stipulent des modalités de détermination du prix, doivent « prendre en compte » des indicateurs de coûts et de prix de marché notamment. Mais cette prise en compte, rendue également obligatoire dans les contrats de revente des produits agricoles ou des produits alimentaires en comportant, se résume souvent à une clause de style déclaratoire.
En amont comme en aval, si la prise en compte est obligatoire, ses modalités et son intensité sont laissées à la volonté des parties… en particulier celle de la partie qui est en position de force. De fait, l’on constate que si l’obligation légale est respectée, c’est le plus souvent uniquement sur le plan formel, c’est-à-dire a minima.
Quid des intermédiaires ?
Pour autant, la proposition du rapport de Serge Papin, au-delà de la perspective qu’elle trace, ne s’embarrasse pas de détails juridiques. Comment comprendre en particulier la référence à un contrat entre le producteur et l’industriel de première transformation qu’il faudrait « rendre obligatoire » ?
Le rapport prône-t-il un retour à la contractualisation introduite par la loi de Modernisation de l’agriculture, qui n’a guère fait florès ? Et quid des intermédiaires qui, dans certaines filières, s’immiscent entre ces deux opérateurs ? Ne conviendrait-il pas, au moins dans un premier temps, de se contenter du champ d’application actuel de la loi Egalim qui vise seulement les cas où les parties décident de conclure un contrat écrit, en imposant à celui-ci un contenu minimal ?
De façon générale, la proposition phare du rapport devra passer au tamis de la faisabilité juridique. Il n’est pas certain qu’elle en ressorte intacte, si du moins elle en ressort.
Le cabinet Racine
Le cabinet Racine est un cabinet d’avocats indépendant spécialisé en droit des affaires. Avec un effectif total de deux cents avocats et juristes dans sept bureaux (Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Strasbourg et Bruxelles), il réunit près de 30 associés et 70 collaborateurs à Paris. Olivier-Henri Delattre, avocat au cabinet Racine à Paris, est spécialisé en droit de l’agroalimentaire, conseil et contentieux judiciaire, administratif et arbitral.