Fromages fermiers : attention à l'affinage
L'article L.640-2 du Code rural permet de valoriser les produits agricoles, forestiers, alimentaires ou les produits de la mer, en distinguant les signes d'identification de la qualité et de l'origine, les mentions valorisantes (dont « fermier », « produit de la ferme » ou la mention « produit à la ferme »), et enfin la démarche de certification de produits. S'agissant spécifiquement du qualificatif « fermier » ou d'une de ses variantes possibles, l'article L.641-19 du Code rural renvoie à des conditions fixées par décret.
Dans ce cadre, un décret (no 2007628 du 27 avril 2007) relatif aux fromages et spécialités fromagères, définit notamment les fromages fermiers et leur étiquetage. En particulier, son article 9-1 précise que « la dénomination “ fromage fermier ” ou tout autre qualificatif laissant entendre une origine fermière est réservée à un fromage fabriqué selon les techniques traditionnelles par un producteur agricole ne traitant que les laits de sa propre exploitation sur le lieu même de celle-ci. » Autrement dit, le qualificatif « fermier » est réservé à un fromage fabriqué sur l'exploitation avec des laits provenant de celle-ci. Mais l'affinage peut avoir lieu à l'extérieur et, dans ce cas, des dispositions spécifiques d'étiquetage sont alors applicables.
Requête des producteurs de fromages fermiers corses
Tout paraissait parfaitement réglé, jusqu'à ce que l'Association régio-nale des producteurs de fromages fermiers de Corse s'étonne de voir des fromages affinés en dehors de l'exploitation arborer le qualificatif « fromage fermier ». Étonnement partagé par le Conseil d'État qui, par un arrêt du 17 avril 2015, a annulé pour excès de pouvoir cette faculté prévue par le décret. Pour le Conseil d'État, le qualificatif « fermier » évoque dans l'esprit de l'acheteur ou du consommateur une élaboration du produit à ses différents stades sous la responsabilité directe de l'exploitant, selon des méthodes excluant les techniques de production à caractère industriel. Or, le décret du 27 avril 2007 étend le droit d'utiliser la qualification « fermier » à des fromages affinés en dehors de l'exploitation sans préciser les modalités selon lesquelles le processus d'affinage demeure sous la responsabilité de l'exploitant, et sans réserver la possibilité d'un affinage en dehors de l'exploitation à des établissements qui excluent le recours à des techniques de production à caractère industriel.
Pour le Conseil d'État, ce n'est pas tant le fait que l'affinage puisse avoir lieu en dehors de l'exploitation qui pose un problème que le fait que, dans cette situation, les conditions dans lesquelles se déroule l'affinage ne sont pas précisées et, plus encore, que le recours à des techniques d'affinage industrielles n'est pas expressément exclu par le texte. Le Conseil d'État rejoint donc l'association requérante pour y voir une potentielle tromperie pour le consommateur, puisqu'il indique que les dispositions attaquées « sont de nature à créer un doute dans l'esprit de l'acheteur ou du consommateur sur le caractère fermier de ces fromages affinés en dehors de l'exploitation ».
Décision applicable au 1er septembre 2015
Cet arrêt est intéressant parce que régulièrement le Conseil d'État nous rappelle son intérêt pour la protection du consommateur traditionnellement dévolue aux juridictions de l'ordre judiciaire.
Le Conseil d'État annule le membre de phrase du décret prévoyant la possibilité de réaliser l'affinage en dehors de l'exploitation, et les dispositions spécifiques d'étiquetage correspondantes. Il le fait avec pragmatisme en constatant que cette annulation a pour effet de supprimer rétroactivement toute possibilité de faire légalement bénéficier tout fromage affiné en dehors de l'exploitation du qualificatif « fermier ».
Par conséquent, pour ne pas fragiliser au plan économique et financier la situation des producteurs qui seraient dans ce cas, le Conseil d'État diffère les effets de l'annulation qu'il prononce jusqu'au 1er septembre 2015.
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Maître Didier Le Goff a développé une compétence générale en droit économique avec une prédilection pour l'agroalimentaire, et s'est aussi spécialisé en droit des marques qu'il enseigne en master II Droit de l'agroalimentaire de l'université de Nantes.