Fromages au lait cru : la traque aux mauvaises bactéries s'affine
Les fromages au lait cru représentent 10 % de la production fromagère française en 2014 en progression de 2,7 %. Une croissance hétérogène selon les spécialités. Fortement liée aux signes de qualité, cette production représente la majorité des produits commercialisés par les artisans-fromagers et une difficulté sanitaire pour l'industrie. Enquête à l'occasion du Salon du fromage.
Ces dernières années, la filière laitière a travaillé fortement sur le risque de contamination à l'Escherichia coli producteurs de shigatoxines (Stec), et plus particulièrement dans les fromages au lait cru. Après l'épisode sur les Stec en Allemagne, lié à la consommation de graines germées en 2009, la Direction générale de l'Alimentation a mis en place un plan de surveillance. « L'épisode sanitaire allemand a entraîné des réactions très vives de la part de la distribution et des États en Europe, ce qui a provoqué une certaine tension sur les fromageries », rappelle Sébastien Breton, délégué général du Conseil national des appellations d'origine laitières (Cnaol), « mais à l'époque, les contrôles de Stec sur les fromages étaient à leur balbutiement, ce qui a provoqué un certain nombre de retraits et une pression supplémentaire de la part de la grande distribution en France. »
Cet épisode a obligé la filière laitière à s'adapter et à mieux comprendre les schémas de contamination aux Stec, alors même que les conséquences de sa présence dans un fromage sur la santé humaine étaient encore mal évaluées. « Autant la Listeria, on connaît bien les causes et les moyens de maîtrise, autant sur les Stec, la filière était dépourvue sur son mode de contamination et sa pathogénicité (diversité des souches, expression sur les bases fromages…, ndlr) », précise Sébastien Breton. En lien avec les centres techniques (Actalia, Idele) et les instituts de recherche publics (Inra…), le Cniel a d'ailleurs mis au point un guide baptisé Maîtrise des Stec en filière laitière. « À l'été 2014, il y a eu beaucoup d'alertes liées aux Stec. La DGAL avait mis en place un plan de surveillance. L'Union européenne qui a défini cinq ou six sérotypes de Stec comme hautement pathogènes manque de lignes directrices en gestion du risque Stec. Mais les règles ne sont pas encore très nettes.... », précise Valérie Michel, responsable pôle microbiologie laitière au centre technique Actalia produits laitiers de la Roche-sur-Foron (74).
Renforcer le suivi des élevagesLa contamination du lait lors de la traite semble être la voie majoritaire, le point de départ étant les contaminations fécales. La survie des Stec dans le fromage semble dépendre des technologies utilisées. Lorsqu'ils sont présents, les Stec se développent en début de fabrication (à l'exception des pâtes pressées cuites), puis leur nombre se stabilise ou décroît. Mais cer-
“ L'UE a défini cinq ou six sérotypes de Stec
” tains sérotypes seraient capables de survivre même en affinage long. D'où l'importance de travailler avec les producteurs pour limiter les zones de contamination tant à la Listeria qu'aux Stec. « Pour relever ce défi, le suivi et le conseil en élevage a été considérablement renforcé. Un travail important est >> réalisé pour les appellations reblochon et crottin de Chavignol par exemple », raconte Sébastien Breton. L'organisme de défense et de gestion du reblochon est notamment en train de mettre en place un « pass lait cru » pour qualifier les producteurs pouvant être en production au lait cru. « Les visites des exploitations ont débuté à l'été 2014. Douze points liés aux pratiques d'élevage doivent être validés : propreté des animaux, matériel de traite, nettoyage des machines, conditions d'alimentation… », détaille le délégué général du Cnaol.
UNE BASE DE DONNÉES NATIONALE POUR LISTERIA MONOCYTOGENES
L'Unité mixte technologique Armada a démarré fin 2011 pour une durée de cinq ans. Elle est centrée sur les techniques dédiées à la sécurité sanitaire des aliments en lien avec l'Anses, Actalia et l'Ifip.
Ces travaux ont notamment amené à la mise en place d'une base de données nationale pour Listeria monocytogenes dans la filière porc début 2015 et depuis la fin d'année dernière dans la filière lait.
« Cette base a pour vocation d'aider à la gestion du risque Listeria monocytogenes dans les filières alimentaires par une meilleure compréhension des phénomènes de transmission entre maillons et de l'implantation des souches en entreprise et par une meilleure caractérisation des souches circulantes », précise l'UMT Armada dans un document de restitution des travaux.
« Cette base est un outil supplémentaire pour faire un peu plus le tri lors de contamination récurrente. Elle est accessible uniquement par les centres techniques formés et ayant signé une convention avec l'Anses », précise Valérie Michel, responsable du pôle microbiologie laitière d'Actalia. L'UMT a également contribué à l'élaboration de méthodes moléculaires fines de détection de souches de « Stec pathogènes » et a permis d'étudier de manière approfondie leur pathogénicité. A.-S. L.
« Il faut que le producteur soit impliqué dans la démarche de la fabrication de fromages au lait cru, car le reste de la production dépend aussi de la qualité de son travail », estime Luc Dongé, dirigeant de la Fromagerie Dongé, fabricant de brie de Meaux et de coulommiers au lait cru. La fromagerie propose à ses éleveurs une prime à la qualité d'une dizaine d'euros pour 1 000 litres afin de les motiver pour rester dans une démarche au lait cru. « Il est important aussi d'élargir la zone de collecte pour s'approvisionner au moment des pics de fabrication comme durant les fêtes de fin d'année », indique Luc Dongé.
Pour les fabricants, les contrôles se poursuivent au moment de la collecte et tout au long de la fabrication. Certaines fromageries sont notamment équipées pour pouvoir réaliser des analyses par la méthode PCR (réaction de polymérisation en chaîne) dans leur laboratoire interne. C'est le cas de la fromagerie Dongé. « Nous avons investi dans la méthode d'analyse PCR en janvier 2015. Elle nous permet de réaliser des analyses pour détecter la Listeria, les salmonelles et les Stec. Cette méthode est très fiable », rassure Luc Dongé. 40 000 euros ont été nécessaires pour l'achat du matériel. Le coût des analyses reste néanmoins élevé. « Les analyses sont lourdes et longues à faire. La recherche de Stec est généralement trois fois ” plus chère que pour la Listeria qui coûte déjà environ 15 euros », déplore Valérie Michel. La multiplication des analyses semble en tout cas un mal nécessaire, pour continuer à défendre une fabrication au lait cru.
“ La recherche de Stec est trois fois plus chère que pour la Listeria