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Centrale d’achat : qu’en est-il de la décision de la CJUE ?

La presse s’est fait l’écho d’une décision rendue, le 22 décembre 2022, dans l’affaire opposant le ministre de l’Économie au groupement E. Leclerc, mais aussi à deux entités belges, les sociétés Eurelec Trading et Scabel S.A, qui leur a donné raison. Il fut, alors, affirmé que le groupement E.Leclerc avait gagné contre le ministre. Qu’en est-il ?

Didier Le Goff, avocat
Didier Le Goff, avocat
© D. Le Goff

On sait que les négociations commerciales sont encadrées en France, depuis maintenant de nombreuses années, qu’elles doivent être achevées au 1er mars de chaque année, sur la base de conditions générales de vente qui doivent avoir été communiquées par les fournisseurs au 1er décembre de l’année n-1. Le droit français s’est également muni d’un droit des pratiques restrictives qui englobe notamment la notion de déséquilibre significatif.

Toutes les tentatives pour anéantir cette notion ont échoué, et notamment une saisine du Conseil constitutionnel, lequel a considéré que le pendant existait en droit civil à travers la possibilité accordée au juge d’annuler un certain nombre de dispositions contractuelles qualifiées d’abusives, dans les relations entre professionnels et consommateurs.

Au cas d’espèce, usant des pouvoirs dont elles disposent d’après le Code de commerce, les autorités de contrôle avaient débarqué au siège du Galec de l’ACDLec les 27 et 28 février 2018, ce qui lui avait permis d’appréhender un certain nombre de documents relatifs à la relation existante avec les entités belges Eurelec Trading et Scabel. Il est à noter que les dates du contrôle ne sont pas anodines, puisque ce contrôle intervient durant les deux derniers jours des négociations encadrées de la grande distribution avec ces fournisseurs, de telle manière qu’il est facile d’imaginer l’ébullition qui peut régner chaque année durant cette période.

Il faut enfin préciser qu’Eurelec est une centrale de négociation des prix et d’achat des centrales fondées sur le groupe E.Leclerc et le groupe Rewe qui sont, respectivement, coopératives de commerçants de droit français et de droit allemand. Quant à la société Scabel, société de droit belge, elle exerce un contrôle d’intermédiaire entre Eurelec et les centrales d’achat régionales françaises et portugaises du groupement E.Leclerc et assure un rôle de prestataire de services et administratifs et techniques pour Eurelec.

Déséquilibre significatif en droit français

Depuis le début, le ministre français de l’Économie considère que cette construction est destinée à détourner le droit français qui est d’ordre public en matière d’encadrement des négociations entre les fournisseurs et les distributeurs et en matière d’application du droit des pratiques restrictives.

Sur la base des saisies et visites domiciliaires réalisées les 27 et 28 février 2018, le ministre de l’Économie a assigné non seulement le Galec et l’ACDLec, mais également les sociétés de droit belge Eurelec et Scabel devant le tribunal de commerce de Paris pour des pratiques relevant du droit des pratiques restrictives français, et notamment du déséquilibre significatif.

Bien entendu, les sociétés belges ont soulevé l’incompétence des tribunaux français sur la base du règlement 1215/2012, qui prévoit, comme dans la quasi-totalité des droits nationaux européens, que le tribunal compétent territorialement est, par défaut, celui où demeure le défendeur. Or, ce règlement a principalement pour objectif de faciliter la reconnaissance et l’exécution d’une décision de justice rendue dans un État membre dans un autre d’entre eux.

Il est donc bien évident que si une procédure judiciaire ne rentre pas dans les standards du règlement susvisé, son exécution dans un autre des États membres de l’Union européenne risque de se heurter à des difficultés insurmontables. C’est donc le pari qu’ont tenté les sociétés Eurelec et Scabel devant les juridictions françaises.

L’argument principal était que les preuves ayant été obtenues sur la base de saisies dont seul le ministre bénéficie, ces mesures étaient exorbitantes du droit commun et ne pouvaient pas se rattacher à la matière civile et commerciale qui justifie la compétence des tribunaux.

La question des pratiques restrictives

Au regard du droit européen le tribunal de commerce de Paris avait balayé l’argument d’un revers de main en faisant valoir que l’article 145 du Code de procédure civile français permettait à toute partie de solliciter avant tout procès la conservation des preuves qui peuvent servir, dans les litiges à venir ou éventuels.

Or, le problème n’est pas celui-ci. La preuve en est que dans sa décision, le juge européen n’évoque même pas l’article 145 du Code de procédure civile français, et qu’en tout état de cause, on n’a jamais vu le ministre de l’Économie français préconstituer des preuves sur le fondement de cet article. On ne comprend donc absolument pas pourquoi le législateur français aurait voté des moyens exceptionnels au profit du ministre de l’Économie si les moyens de droit commun avaient pu être efficaces en toutes circonstances.

Ce qui s’évince de la décision du juge européen, c’est que pour que des dispositions soient équilibrées et non considérées comme exorbitantes du droit commun, il faut qu’elles appartiennent aux deux parties de manière équitable, et surtout qu’elles émanent du même texte, ce qui n’est pas le cas des dispositions du droit français qui permettent au ministre seul d’effectuer des visites domiciliaires et de saisie pour justifier les faits dont il va se plaindre par la suite.

Le deuxième aspect est qu’à partir du moment où des preuves ont été obtenues dans de telles conditions qui ne relèvent pas de la matière civile et commerciale du règlement sur l’exécution dans les États membres des décisions judiciaires, la question se pose sérieusement de savoir où le ministre ira exercer ses actions issues du droit des pratiques restrictives du Code de commerce français. En effet, le droit de l’Union européenne primant le droit national, la question est entièrement posée.

Maître Didier Le Goff

Fort d’une expérience de plus de vingt-cinq années, dont près de vingt ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l’entreprise, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire. Il a fondé, en 2018, avec quatre confrères de spécialités et barreaux différents, une plateforme dédiée aux segments de marché de l’agroalimentaire.

www.dlegoff-avocat.fr 24 bis rue Greuze 75116 Paris

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