La recherche en marche pour diversifier les porte-greffes
Conscients que les travaux sur le porte-greffe ont été longtemps délaissés, les instituts de recherche ont relancé des projets ces dernières années. Le but étant d’enrichir les solutions existantes.
Conscients que les travaux sur le porte-greffe ont été longtemps délaissés, les instituts de recherche ont relancé des projets ces dernières années. Le but étant d’enrichir les solutions existantes.
« Nous sommes convaincus que le porte-greffe peut être un levier d’adaptation pour les problématiques actuelles du vignoble », assure Élisa Marguerit, enseignant chercheur à Bordeaux Science Agro et à l’Unité mixte de recherche (UMR) Écophysiologie et génomique fonctionnelle de la vigne (EGFV). La structure a fait des travaux sur le porte-greffe un de ses axes de recherche principaux et dédie 5 chercheurs à cette thématique. Élise Marguerit a créé en 2015 le dispositif GreffAdapt. Le but de ce dispositif : acquérir des références agronomiques sur une large gamme de porte-greffes existants. « Nous avons mis en place une parcelle avec 55 porte-greffes différents sur lesquels nous avons greffé 5 types de cépages, introduit la chercheuse. Nous devons qualifier de manière plus fine le matériel déjà existant pour établir des classifications à partir de critères quantitatifs. » Parmi ces 55 porte-greffes, 30 sont déjà autorisés en France et 25 viennent de l’étranger. Chacun d’eux est testé en association avec le cabernet sauvignon (clone 169), le grenache (clone 362), le pinot noir (clone 113), la syrah (clone 524) et l’ugni blanc (clone 481). Soit un total de 275 combinaisons !
Il existe une volonté de donner des solutions sur le terrain
Pour chacune de ces associations, les scientifiques observent le comportement des plants, que ce soit en ce qui concerne la vigueur, la fertilité, mais aussi la tolérance à la sécheresse et l’alimentation minérale. Grâce à ce travail, il sera beaucoup plus facile et rapide de mettre en place ensuite des essais de Valeur agronomique, technologique et environnementale (Vate), dans l’optique d’inscrire de nouveaux porte-greffes au Catalogue officiel. Mais ce dispositif GreffAdapt a également vocation de capitaliser sur les ressources déjà disponibles, et donner des pistes d’adaptation aux professionnels. « Je suis très attachée à l’articulation avec le terrain », assure Élise Marguerit. La chercheuse a d’ailleurs œuvré pour mobiliser les interprofessions viticoles et travaille déjà en partenariat avec Bordeaux, la Bourgogne ainsi que le Val de Loire. L’idée étant de coconstruire des projets afin de mener des réflexions à l’échelle régionale avec les chambres d’agricultures et autres partenaires de la sélection qui peuvent ensuite décliner les travaux au niveau local. Pour faciliter le partage des informations, l’UMR a par ailleurs contribué à la création du système d’information en ligne Silex porte-greffe, une véritable base de données qui a pour but de recenser tous les résultats d’essais répertoriés. Ainsi chacun peut partager ses données et avoir le retour d’expériences d’autres structures. « Cela peut même être des viticulteurs ou pépiniéristes qui ont fait des essais chez eux : chaque témoignage, comme une combinaison de porte-greffe et clone de greffon qui marche mal, est précieux », indique Élise Marguerit.
Des scientifiques à la recherche du porte-greffe idéal
En parallèle, des travaux de recherches plus fondamentaux sont réalisés pour mieux comprendre le déterminisme génétique des porte-greffes. L’enjeu majeur de ces travaux est de pouvoir moderniser la sélection et de rendre la création variétale moins longue. « L’objectif est de trouver des marqueurs génétiques, afin d’identifier très tôt par analyse ADN si les nouveaux plants issus de croisements sont porteurs de gènes de tolérance à la sécheresse, à la chlorose, etc. », expose Nathalie Ollat, directrice de l’UMR EGFV. Car le processus de création de porte-greffes est de nouveau à l’œuvre à Bordeaux. La directrice coordonne d’ailleurs le projet Resgrape PG, destiné à l’obtention de nouvelles variétés adaptées à une viticulture durable. « Nous avons fait 4 000 croisements en dix ans, en partant d’un parent du Némadex avec les autres porte-greffes existants », relate la chercheuse. Les scientifiques recherchent un candidat qui puisse contrôler les populations de nématodes afin de réduire les contaminations du court-noué, mais avec un meilleur comportement en pépinière que le Némadex, ainsi qu’une moindre sensibilité à la chlorose et à la sécheresse. « C’est un objectif, mais il n’est pas le seul. Dans le lot il y aura probablement des profils non tolérants au court-noué mais beaucoup plus résistants à la sécheresse avec un bon niveau qualitatif, qui permettront d’élargir la gamme de choix pour les viticulteurs », estime Nathalie Ollat.
Une dizaine d'années avant l'arrivée des porte-greffes résistants à la sécheresse
La tolérance à la sécheresse est pour elle un enjeu majeur des recherches dans le contexte du changement climatique. Des premiers croisements, douze individus intéressants sortent déjà du lot et vont être étudiés au vignoble. « Dans cinq ans nous aurons une idée plus précise de leur comportement et de leurs qualités. Il faut attendre une dizaine d’années pour espérer voir ces porte-greffes à disposition des viticulteurs », prévoit la scientifique. En attendant, les croisements se poursuivent, ainsi que la mise au point d’une méthode de sélection génétique. « Il ne faut pas s’attendre à une avalanche de nouveaux porte-greffes, mais s’il y en a quelques nouveaux ce sera déjà une avancée. À moyen terme, il n’y aura peut-être pas beaucoup plus de porte-greffes utilisables, mais on les connaîtra mieux », conclut la chercheuse.
voir plus loin
Point de greffe : le projet Origine avance
En parallèle des recherches sur les variétés de porte-greffe, les scientifiques s’attellent également aux interactions entre le porte-greffe et le greffon, et à ce qui fait la compatibilité entre ces deux éléments. Grâce à l’imagerie médicale, ils essaient d’identifier des marqueurs de faible reprise au greffage. L’objectif étant de transférer aux pépiniéristes des fiches de conseils pour la préparation, la conservation du matériel et la stratification, et de leur donner de nouveaux critères pour aider au tri des plants. Les premiers résultats d’Anne-Sophie Spilmont, de l’IFV, montrent que la taille des racines est un élément pertinent pour différencier les plants qui résistent au test du « coup de pouce » mais dont la jonction n’est que partielle de ceux dont la greffe est réussie.
En Charente, un essai sur la vigueur des porte-greffes et les maladies du bois
À Salignac-sur-Charente, la Maison Villevert-Domaine du Perat, propriété de 40 ha de vignes, mène un essai de porte-greffe dans le cadre du réseau MIVigne. Animé par les chambres d’agriculture de Charente et Charente-Maritime, ce réseau participe au Plan national dépérissement du vignoble. « L’idée de cet essai est de savoir si la vigueur du porte-greffe favorise le développement de l’Esca », explique Julien Bia, chef de culture, qui s’est mobilisé sur le projet.
Le domaine y consacre une parcelle de 85 ares. « Le cépage ugni blanc a été planté en 2019 avec 11 porte-greffes différents : R 140, 161-49 C, 3309 C, 333 EM cl.263, 41 B, Gravesac, R 110, RSB, Rupestris du Lot, SO 4 et 1103 P », détaille Julien Bia. Une analyse préalable de résistivité du sol ayant révélé quatre profils différents, « chaque variété de porte-greffe est présente sur les quatre zones ». Au total, quelque 240 pieds vont être suivis. « Parmi les porte-greffes sélectionnés certains ne sont pas habituellement conseillés sur ce genre de sol. S’il y a moins de récolte mais moins de dépérissement, ça peut être tout de même rentable au final », expose-t-il. Les jeunes plants ont déjà dû affronter la sécheresse. « Avec les conditions météo de 2020, il y a beaucoup de plants à changer. La sécheresse a eu le même effet sur toutes les zones », observe Julien Bia. Si d’éventuels symptômes de maladies du bois ne seront pas observables avant cinq à dix ans, le développement du végétal et la productivité seront déjà des données instructives. Elles alimenteront aussi les bases de données de la station viticole et des chambres d’agriculture.
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