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Film
Vingt Dieux : « J’ai voulu représenter les enfants d’agriculteurs avec qui j’allais à l’école dans le Jura »

Présenté à Cannes, son premier long métrage Vingt Dieux (qui sort le 11 décembre en salles) a remporté le prix de la jeunesse Un certain Regard. La jeune réalisatrice Louise Courvoisier raconte à Reussir.fr comment elle a imaginé et conçu ce film qui porte un regard nouveau et tendre sur la jeunesse du monde agricole et rural, avec pour décor le Jura de son enfance.

La réalisatrice Louise Courvoisier devant des vaches
Louise Courvoisier, réalisatrice de Vingt Dieux, sur le tournage de son premier long métrage dans le Jura.
© LAURENT LE CRABE

« Totone, 18 ans, passe le plus clair de son temps à boire des bières et écumer les bals du Jura avec sa bande de potes. Mais la réalité le rattrape : il doit s’occuper de sa petite sœur de 7 ans et trouver un moyen de gagner sa vie. Il se met alors en tête de fabriquer le meilleur comté de la région, celui avec lequel il remporterait la médaille d’or du concours agricole et 30 000 euros ». Tel est le synopsis de Vingt Dieux, film de la jeune réalisatrice Louise Courvoisier qui sort en salles le 11 décembre prochain. 

Ce film, que Reussir.fr, a pu voir en avant-première, dresse le portrait tendre et rare dans le monde du cinéma d’une jeunesse rurale, et notamment d’une jeune éleveuse, Marie-Lise, loin des clichés habituels. Le tout dans le milieu de la filière comté du Jura. Sa réalisatrice Louise Courvoisier nous raconte les coulisses de ce premier long métrage très chaleureusement accueilli dans les lycées agricoles de la région.

Reussir : Quel est votre rapport personnel avec le monde agricole et le monde rural ?

Louise Courvoisier : J’ai grandi à Cressia, petit village du Jura, dans une ferme, un peu isolée, en haut d’une colline. Mes parents, musiciens à la base, sont devenus agriculteurs : ils ont un peu de cultures qu’ils travaillent en traction animale avec des chevaux. Ce qui n’a rien à voir avec le monde agricole que je montre. 

J'ai grandi à Cressia, petit village du Jura, dans une ferme, 

A l’école j’étais avec des enfants d’agriculteurs, j’ai souvent fréquenté ce milieu. Et puis je suis partie étudier à Lyon puis le cinéma à Paris et à la fin de mes études je suis revenue dans le Jura pour écrire mon premier long métrage.

Reussir : Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce film ?

Louise Courvoisier : J’avais envie d’une approche humaine, de parler des jeunes avec qui j’ai grandis, avec qui je suis allée au bal et de montrer le milieu rural sous-représenté dans le cinéma. Je voulais faire un film de territoire autour du Jura d’où mon idée d’intégrer la fabrication du comté dans le film.

Reussir : Où avez-vous tourné le film, dans quelles exploitations agricoles et fruitières ?

Louise Courvoisier : Les scènes de la ferme de Marie-Lise ont été tournées à Tarcia, au Gaec de la Source à Val d’Epy près de Saint Julien-sur-Suran. Nous avons aussi tourné à la fruitière d’Orgelet, à la fromagerie de Simandre-sur-Suran qui venait de cesser son activité, et au Fort des Rousses pour l’affinage. Pour la scène de collecte de lait en début de film nous avons aussi tourné dans une ferme vers Loisia.

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Réussir : Vous avez travaillé avec des acteurs non professionnels…

Louise Courvoisier : Ce sont effectivement des acteurs non professionnels, venant pour la plupart du milieu agricole. Clément Faveau, qui joue Totone (le personnage principal, ndlr), a 18 ans et travaille dans un élevage de volailles à Louhans (dans la plaine de Bresse) dont il a le projet de devenir associé. 

Clément, qui joue Totone, travaille dans un élevage de volailles à Louhans […] Maïwène, qui joue Marie-Lise, était en BTS agricole à Vesoul

Maïwène Barthélémy, qui joue Marie-Lise, était en BTS agricole à Vesoul et travaillait dans une ferme laitière. Son grand frère dans le film est agriculteur à son compte à Moutonne dans le Jura en lait à Comté. Son autre frère est aussi en études agricoles. Un acteur qui joue un des deux amis de Totonne (Mathis Bernard, ndlr) était dans le monde des espaces verts et se lance désormais dans le jeu d’acteur.

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Réussir : Pourquoi ce choix ?

Louise Courvoisier : Je ne voulais pas tricher, je voulais entendre l’accent jurassien notamment et avoir les gestes vrais. 

La scène de vêlage est authentique, on n’aurait jamais pu obtenir ça avec une comédienne

La scène de vêlage avec Maïwène est authentique, on n’aurait jamais pu obtenir ça avec une comédienne. Ces acteurs non professionnels apportent tellement de naturel.

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Réussir : Comment avez-vous fait le casting ?

Louise Courvoisier : J’ai été aidée par deux directeurs de casting : Léa Gallego et Emmanuel Thomas. Ils ont fait des castings sauvages dans des bals, des comices, dans des lycées agricoles, ont parlé du film puis tourné des petites scènes. Ca s’est fait en plusieurs étapes. On a rencontré beaucoup de monde notamment dans les lycées agricoles

Ils ont fait des castings sauvages dans des bals, des comices, des lycées agricoles

Et puis pour les rôles je me suis inspirée de gens autour de moi, nous avons travaillé avec des agriculteurs, des fromagers…. Il y’a eu beaucoup de travail de répétitions ensuite pour faire oublier la caméra. 

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Réussir : Votre actrice Maïwène Barthélémy a été retenue pour les césars révélation féminine, va-t-elle continuer dans le cinéma ?

Louise Courvoisier : Elle est curieuse mais elle aime ce qu’elle fait, elle veut continuer à travailler dans la ferme. Après on verra, être sélectionnée pour la révélation féminine ouvre un réseau. Elle va rencontrer beaucoup de monde.

Réussir : Comment s’est-elle préparée à la scène de vêlage et comment s’est-elle déroulée ?

Louise Courvoisier : Maïwène est retournée dans l’exploitation où elle travaillait, a beaucoup discuté avec les agriculteurs, s’est bien préparée.

Une scène de vêlage tournée comme une scène d’intimité

Nous avons passé une semaine dans la ferme, d’astreinte jour et nuit, et on ne savait pas sur quelle vache ça allait tomber. L’agriculteur était derrière « le combo », il y’avait un preneur de son, le caméraman et tout le reste de l’équipe était dehors. Nous avons tourné en très petit comité comme pour une scène d’intimité. La vache n’était pas trop stressée. On s’est adapté à son rythme. Elle a vêlé en sept minutes. On a fait la scène d’une traite. Maïwène était très concentrée, elle a réalisé une vraie performance. C’est ce qui m’intéressait : sentir la tension, voir comment elle est concentrée sur ses gestes techniques.

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Réussir : Comment avez-vous travaillé votre personnage de l’éleveuse, loin des clichés des femmes dans le monde agricole ? 

Louise Courvoisier : J’y ai mis beaucoup de soin. Dès que l’on représente de la féminité nous avons déjà une responsabilité de bien le faire sans tomber d’un cliché à un autre. Je me suis inspirée d’agricultrices que je connaissais et Maïwène a apporté beaucoup au personnage. Je me suis aussi adaptée à elle. Je suis très contente de son jeu, le rôle était assez difficile en casting. Je ne l’attendais pas forcément là. C’est trop bien de travailler avec des non professionnels. 

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Réussir : Vous montrez une jeunesse face aux difficultés, souvent seule, coupée du monde des adultes pourquoi ?

Louise Courvoisier : J’avais envie d’un film sur ces jeunes et de les représenter dans leurs bulles, un peu livrés à eux-mêmes. Dans le film on ne lâche pas le personnage de Totone. 

Réussir : Le mal-être dans le monde agricole vous touche ?

Louise Courvoisier : Au-delà du milieu agricole, je voulais plutôt faire un film sur le milieu rural. J’ai pu sortir de mon parcours, aller à Paris, mais certains jeunes n’ont pas la possibilité de partir. Ils se sentent souvent écrasés par leur milieu. 

La ruralité est souvent représentée dans la misère, le drame, dans le cinéma

Mais dans le film je ne voulais pas les écraser, je voulais leur donner de l’élan et de la douceur. La ruralité est souvent représentée dans la misère, le drame, dans le cinéma. Je voulais parler des difficultés et y mettre un peu d’espoir.

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Réussir : Une récente étude menée par Viarte pour Hectar a analysé comment évolue l’image de l’agriculture dans l’art et décrit de nouveaux artistes provenant du monde rural qui apportent une vision différente plus réaliste du monde agricole. On sent que vous en faites partie, en avez-vous conscience ? 

Louise Courvoisier : On a parfois des sensations, ça me fait plaisir que ce soit confirmé. Ce qui manque c’est une représentation du monde rural par des gens du monde rural. L’art ne peut que se bien porter de mieux représenter l’agriculture.

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Réussir : Avez-vous diffusé votre film auprès de professionnels agricoles, d’élèves dans les lycées agricoles, quel a été l’accueil ?

Louise Courvoisier : Nous avons fait beaucoup de projections avec des élèves de lycées agricoles. Ils étaient très participatifs, ont posé plein de questions. Nous avons aussi fait une grande tournée de 17 dates dans la région, dans des salles de fêtes. C’était très intéressant ça a permis à un public de d’accéder à un film qui les concerne. 

On a travaillé avec un coach fromager et on a fabriqué du comté pour de vrai

Nous avons eu de très bonnes réactions de gens qui étaient même un peu surpris d’être représentés comme ça. Ca a donné lieu à des moments assez émouvants. C’était aussi drôle certains fromagers nous ont dit : « à ce moment-là ce n’est pas exactement à cette température » ou alors ils s’étonnaient que l’on dise que pour faire du fromage il faut de la présure. Mais il faut bien l’expliquer dans le film. On a travaillé avec un coach fromager pendant tout le film et on a fabriqué du comté pour de vrai, c’était important pour filmer les textures. 

Réussir : Pensez-vous que votre film peut aider à renouveler les générations dans les exploitations agricoles ? Avez-vous le sentiment de donner une bonne image du secteur ?

Louise Courvoisier : Je sens que ça a créé une vraie curiosité. L’agriculture a rarement été montrée sous cet angle-là. Les jeunes voient un regard positif et tendre ça leur fait plaisir. Je ne sais pas si ça va aider à renouveler les générations mais ce qui est sûr c’est que tous les jeunes qui ont participé au tournage se sentent bien représentés. Et ça c’est chouette. Et dans les lycées agricoles, j’ai plutôt l’impression d’avoir rencontré des gens passionnés. 

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Réussir : La campagne est un personnage à elle toute seule que vous filmez avec amour….

Louise Courvoisier : J’ai écrit en pensant à des paysages précis que je connaissais bien. Je voulais mettre en valeur le paysage avec un côté Far West.

Souvent la campagne est montrée comme très naturaliste, un peu moche, la caméra à l’épaule. C’est rare de voir une belle image alors qu’on a des paysages parfaits

Souvent la campagne est montrée comme très naturaliste, un peu moche, la caméra à l’épaule. C’est rare de voir une belle image alors qu’on a des paysages parfaits. Je voulais les mettre en valeur avec les bonnes lumières, au bon moment.

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