La situation se tend sur le marché du vin
L’embellie de 2021 due au rattrapage post-Covid fait place à une situation globalement dominée par l’incertitude mais hétérogène selon les marchés, les couleurs et les bassins viticoles. Les impacts conjoncturels de la crise accentuent certaines tendances structurelles.
L’embellie de 2021 due au rattrapage post-Covid fait place à une situation globalement dominée par l’incertitude mais hétérogène selon les marchés, les couleurs et les bassins viticoles. Les impacts conjoncturels de la crise accentuent certaines tendances structurelles.
En grandes surfaces, l’impact du pouvoir d’achat
Sur les cinq premiers mois de l’année, les ventes de vins tranquilles en grandes surfaces reprennent leur tendance à la baisse entamée avant la crise sanitaire. Selon les données IRI-FranceAgriMer, de janvier à mai 2022, elles ont reculé de 10 % en volume et de 5 % en valeur par rapport à la moyenne 2019-2021. Les rouges sont toujours les plus affectés. Ils font l’objet d’un recul structurel depuis les années 2010. « En dix ans, les ventes de vins rouges ont diminué de 29 % en volume », souligne le service économique de FranceAgriMer.
De façon conjoncturelle, l’inflation conduit les consommateurs à faire des arbitrages. « Le vin risque d’être très touché par les pertes de pouvoir d’achat. Le poste des alcools est le premier visé dans les contextes de hausse de prix. Il faut se préparer à une poursuite de la déconsommation », a considéré Quentin Matthieu, responsable économique de la Coopération agricole, lors du congrès des Vignerons coopérateurs de France fin juin. Par dénomination, seuls les vins de France progressent en volume (+ 7 % par rapport à 2019-2021) et en chiffre d’affaires (+11 % par rapport à 2019-2021). Leur poids reste toutefois limité en part de marché (6 % en volume et 3 % en valeur). D’un rapport volume/prix attractif, le BIB résiste bien à la crise : sa part est passée de 37 % des volumes en 2017 à 46 % en 2021.
La restauration, un marché contraint mais dynamique
Food Vision Service, expert de la filière restauration, dresse un constat plutôt positif pour les deux premiers trimestres 2022. « On voit que le marché est fortement contraint par l’inflation et les problèmes de main-d’œuvre, mais pour l’instant, en fréquentation, en niveau de dépenses hors domicile, on voit une dynamique plutôt positive », résume Julie Fontes, channel manager, chez Food Service Vision.
La restauration commerciale enregistre même en mai 2022, un bond de 7 % en un an. Les catégories cafés-bars-pubs et restauration à table sont très dynamiques, s’approchant d’un retour au niveau de 2019. Les professionnels du secteur interviewés par Food Vision Service font état d’une recherche de convivialité et d’une envie de se faire plaisir. La dynamique semble toutefois davantage profiter aux cocktails et à la bière qu’au vin. Un sujet sur lequel notre filière doit se pencher.
Les tensions sur la marge restent un point noir. Une étude menée au 2e trimestre 2022 par Food Service Vision avec le GNI (groupement national des indépendants en hôtellerie et restauration), constate des hausses de prix sur les cartes d’en moyenne 4,2 % alors que les coûts d’approvisionnement augmentent eux de 13,9 %. « Les opérateurs de la restauration supportent l’essentiel du poids de la hausse des prix, en réduisant leurs marges et en dégradant leur modèle économique », alerte le GNI. Didier Chenet, son président, en conclut qu’il « faudra faire des économies sans affecter la qualité ».
Dans ce contexte, le vin au verre, déjà en progression avant la crise, confirme son potentiel. Selon une étude de Food Service Vision menée avec France Boissons en janvier 2022, 56 % des commandes de vin au restaurant se font au verre. « L’élargissement de la gamme de vins au verre permet aux consommateurs de découvrir des vins plus chers », considère Julie Fontes. Elle souligne également l’essor des vins écoresponsables. Leur poids dans le catalogue des distributeurs était de 8,5 % des références en 2021, soit 2 points de plus en deux ans. Quant à la restauration livrée, « le vin y reste très petit mais avec un potentiel », estime la spécialiste.
Des situations diverses à l’export
Sur neuf mois de campagne (août 2021-avril 2022), les exportations montrent un ralentissement en volume (+ 1 % en un an) mais un essor de la valeur (+ 21 %). Le mois de mars, a connu une baisse forte des volumes exportés. Malgré les tensions inflationnistes et l’instabilité géopolitique liée à la guerre en Ukraine, l’agence Business France affiche un certain optimisme. « On ne voit pas la période comme une crise rappelant 2008. Il y aura un ralentissement mais on est assez confiants sur le fait de pouvoir continuer à vendre nos vins à l’étranger », pose Adrien Calatayud, chef de service Vins, spiritueux, bières & cidres. Il craint plutôt le manque de disponibilité des vins suite aux aléas climatiques.
Les perspectives varient toutefois beaucoup selon les zones géographiques. La Chine et Hong Kong sont en fort recul mais Singapour et surtout la Corée du Sud progressent. Des marchés se développent, comme le Brésil ou le Mexique, portés sur les prix accessibles et les cépages. Business France y voit des opportunités pour les IGP et vins de France.
L’euro bas est-il favorable ? « Il peut permettre de favoriser les exportations mais une inflation trop forte peut annuler ce bénéfice », observe le service économique de FranceAgriMer. Et de citer en exemple les États-Unis. Une inflation trop persistante pourrait pénaliser les vins les plus valorisés faute de pouvoir d’achat disponible pour les produits de luxe. Les marchés de vins d’entrée de gamme, très sensibles aux hausses de prix, sont aussi menacés. C’est le cas de l’Allemagne où nos exportations ont reculé de 7 % en volume sur les neuf mois de campagne (août 2021-avril 2022).
Face à la concurrence toujours plus exacerbée, Business France évoque les moyens marketing mis en place par d’autres pays. « L’Allemagne, l’Italie ou l’Autriche communiquent avec une base nationale. En France, il est difficile d’arriver à réunir toutes les régions », regrette Adrien Calatayud. De son côté, l’agence met en place des dispositifs pour soutenir les primo exportateurs, de plus en plus nombreux.
Les ventes en vrac à la peine
Sur le marché du vrac, le cumul des transactions à 45 semaines de campagne (août 2021-début juin 2022), affiche un recul en volume sur toutes les couleurs et dénominations mais des hausses en valeur (données FranceAgriMer). Pour le service économique de FranceAgriMer, la cause en est la faible récolte de 2021.
Chez le courtier Ciatti Europe, Florian Ceschi note qu’il y a « un clivage blanc/rouge ». « Les volumes de blancs 2021 disponibles sont presque épuisés en France. La situation se rencontre aussi en Espagne tandis que de gros volumes en rouges ne sont pas contractualisés », détaille-t-il dans son résumé vidéo de l’état global du marché du vrac en juin. « Le prix des rouges AOP fléchit et ça va se renforcer à l’approche des vendanges », prévient-il. Il pressent que du fait de la lenteur de vente des rouges au détail et des retards logistiques dans leur transport, certains opérateurs pourraient faire l’impasse sur le millésime 2021.
Fabrice Chaudier, consultant en commercialisation du vin, observe que la loi de l’offre et de la demande ne s’applique plus sur ce marché. « Même quand les campagnes s’avèrent peu volumiques, les prix ne montent pas. Seule la dynamique commerciale joue ; une appellation, une région qui se vend, trouve des débouchés à de bons prix », remarque-t-il. Ainsi, sur les 41 premières semaines de la campagne 2021-2022, les bourgognes rouges et blancs ainsi que les beaujolais rouges, les blancs de Loire ont tiré leur épingle du jeu à la fois en volume et en prix. Pour les IGP, les blancs cépage (+ 25 %) et d’assemblage (+19 %) ont connu les meilleures valorisations.
Jérôme Despey, président du Conseil spécialisé vin de FranceAgriMer
« La baisse de consommation de janvier à mai nous interpelle »
Pour 2022, au-delà de la grêle, du gel, il y a les conséquences de la sécheresse et de la canicule qu’on ne doit pas sous-estimer. Il peut y avoir un impact à la baisse sur la production.
Face à ces problèmes d’adéquation de l’offre et de la demande, tout un travail est mené sur des outils pour réguler le marché.
Nous sommes aussi inquiets de ces ruptures qui touchent l’embouteillage. Les mises retardées sont autant de volumes qui ne sont pas commercialisés. Nous allons évoquer ce sujet avec le ministre. La hausse des coûts de production nous mobilise également. Il faut qu’il y ait une répartition des coûts avec les metteurs en marché et la distribution pour permettre aux producteurs de vivre du prix de leurs produits. »