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Le vin bio face à de nouveaux défis commerciaux

Après des années de forte croissance de la consommation, le vin bio voit sa demande ralentir alors que le volume de production progresse fortement. Une situation pas inédite, mais qui intervient dans un contexte de commercialisation nouveau.

En rayon, le vin bio se voit entouré par de plus en plus d'autres démarches écoresponsables, également mises en avant par les enseignes.
En rayon, le vin bio se voit entouré par de plus en plus d'autres démarches écoresponsables, également mises en avant par les enseignes.
© C. Gerbod

En 2021, le marché du vin bio en grandes surfaces (hors hard discount) n’a progressé que de 0,2 % en volume selon l’institut Iri. Le vin bio se porte toutefois mieux que l’ensemble du rayon vin, en recul de 4,6 % en volume sur la même période. « Il y a deux façons de voir les choses », résume Éric Marzec, directeur d’unité du pôle liquides chez Iri. Du côté du verre à moitié vide, un ralentissement ; du côté du verre à moitié plein, une valeur qui continue de progresser. Ainsi, il observe que les vins bio ont gagné 4 % en valeur du 3 janvier au 24 avril 2022 par rapport à la même période en 2020 (le début 2021 est considéré comme atypique). En comparaison, le hors-bio est à -0,7 %.

L'offre va connaître une forte hausse structurelle

« La croissance ralentit mais les vins bio continuent à progresser plus vite que le marché global », confirme Cyril Mondon, adhérent E.Leclerc à Rouffiac, en Haute-Garonne, et responsable de la commission nationale Vins & Effervescents de l’enseigne. Selon Iri, le vin bio pèse 6 % de part de marché en valeur début 2022. C’est 1,5 point de plus que début 2020.

« Les sorties ne sont pas bonnes », concède de son côté Jacques Frelin. Son entreprise de négoce de vin bio commercialise l’équivalent de 3 millions de bouteilles, principalement dans les magasins spécialisés bio. Ce circuit est particulièrement affecté par le contexte économique.

Face à ce coup de frein conjoncturel, l’offre de vin certifié bio est appelée à croître structurellement sous l’effet du fort mouvement de conversion. En cumulant les volumes théoriques issus des hectares arrivant en année de certification sur les millésimes 2021 à 2023, l’Agence bio évalue qu’il y aura 2,3 millions d’hectolitres supplémentaires. C’est autant que ce qui a été vendu en 2020.

« Le vrai challenge à venir, c’est la mise en marché de tous ces vins bio », concède Nicolas Richarme, président de SudVinBio. L’inquiétude monte comme en témoigne Laurence Faucheux, vigneronne du domaine Moulin Garreau, à Lamothe-Montravel en Dordogne, sur 10 hectares, en bio depuis 2006. « On subit l’arrivée des conversions et la régression de la filière vin en général. À cela s’ajoute l’inflation : les consommateurs doivent faire des arbitrages, et le vin n’est pas indispensable », anticipe-t-elle.

Pour l’année 2022, les risques de déséquilibre du marché semblent limités. Les aléas climatiques de 2021 se sont chargés d’amoindrir l’offre. « Les nouveaux entrants vont à peine compenser les pertes 2021 », prévoit Anne Hubert, chargée de mission chez Vignerons bio Nouvelle Aquitaine. D’où des cours qui, pour l’instant, tiennent. « On est entre 2000 et 2100 euros le tonneau de 900 litres pour le bordeaux rouge bio. C’est correct », estime-t-elle. Mais la question reste entière pour la suite.

Un nouvel équilibre offre-demande à atteindre

Le décalage entre l’offre et la demande évoque aux acteurs du marché les années 2008-2012. Mais avec un contexte différent. « Le marché est bien plus mature, il y a beaucoup plus d’opérateurs. Le bio est connu et reconnu désormais », analyse Nicolas Richarme. Anne Hubert juge qu’avec 5 % de part de marché des vins consommés en France et 7 % des vins exportés, le vin bio dispose encore de marges de progression. Encore faut-il garder les consommateurs et en conquérir de nouveaux. « Le bio est un challenge sur le plan technique tout autant que sur le plan commercial, insiste-t-elle. Une valorisation plus importante, ça se travaille. »

Nicolas Richarme pointe les différences selon les circuits de distribution. « Pour le vrac ça risque d’être plus compliqué pour les nouveaux arrivants. Avec le contexte économique incertain, les opérateurs du vrac achètent au coup par coup », alerte-t-il. Le vin bio détient toutefois un amortisseur avec ses 45 % d’achats de vin bio des ménages en vente directe en valeur (données 2020 de l’Agence bio). Cela garantit un « commerce équitable », estime-t-il.

 

 
Avec 45 % en valeur et 37 % en volume des achats de vins bio par les ménages en 2020, la vente directe est un atout précieux à préserver pour la filière.
Avec 45 % en valeur et 37 % en volume des achats de vins bio par les ménages en 2020, la vente directe est un atout précieux à préserver pour la filière. © C. Gerbod

 

Jacques Frelin n’écarte pas, pour les producteurs, la nécessite de devoir vendre une petite partie en conventionnel, le temps que l’équilibre se rétablisse, sur deux ou trois ans. Déjà en 2020, 150 000 hectolitres ont été commercialisés en conventionnel, soit près de 6 % du volume récolté en bio en 2019, selon les données de l’Agence bio. Jacques Frelin pense aussi que le marché va davantage se structurer en fonction des qualités, avec désormais la possibilité de faire des lots plus gros. Lui qui commercialise à 95 % des vins à moins de 10 euros prix consommateur, principalement issus du Languedoc et en IGP, estime que vu le contexte, « il faut faire attention au prix ». Mais selon lui, la filière est capable de vendre du bio à un prix accessible pour les consommateurs.

Surtout, il souligne le potentiel de l’export qui s’ouvre avec les volumes à venir. « On va pouvoir répondre aux monopoles scandinaves et aux demandes du marché nord américain », se réjouit-il. « On a notre place sur le marché. Il faut se battre sur des vins à valeur ajoutée », préconise Nicolas Richarme.

Chez Vignerons bio de Nouvelle Aquitaine, la croissance des volumes incite à œuvrer pour un marché mieux structuré. Anne Hubert évoque des discussions avec Bordeaux Négoce pour qu’une marque émerge en grande distribution, à l’image de ce dont bénéficient déjà l’Occitanie et la Vallée du Rhône.

 

 
En 2020, 58 % du volume de vins bio mis sur le marché a été commercialisé en France et 42 % à l'export.
En 2020, 58 % du volume de vins bio mis sur le marché a été commercialisé en France et 42 % à l'export. © Source Agence bio/AND-I

 

Une profusion de démarches écoresponsables

Le bio peut-il aussi compter sur la grande distribution qui a représenté 37 % de ses ventes consommateurs en volume et 21 % en valeur en 2020 selon l’Agence bio ? Aujourd’hui, « la grande distribution pousse l’offre du bio », constate Éric Marzec chez Iri. Pour preuve, les vins bio représentent en moyenne 10 % des références proposées mais 6 % de part de marché en valeur. Renaud Guerre-Genton, chef de file Vins chez Magasins U l’admet, « quand on a une offre de 16 à 17 % de vins bio en Foire aux vins, on a 8 % d’achats. Le vin bio tourne moins mais les démarches environnementales, c’est un axe stratégique que l’on maintient ». Pour Cyril Mondon chez E. Leclerc, la croissance des références bio dans le rayon est de toute façon en partie mécanique, du fait du choix des marques et vignerons partenaires de passer en bio. Même constat chez Magasins U.

Plus nombreux, les vins bio tendent à se retrouver dans le rayon vin, à côté d’autres démarches environnementales et non plus groupés. Le bio jouit d’une confortable avance en notoriété, mais les autres vins sont bien là. « Le phénomène écologique s’accélère. Je crois qu’on tend tous vers ça, projette Cyril Mondon. On soutient tous les labels. » Chez Iri, Éric Marzec observe que ces démarches « explosent en ventes » même si leur poids reste faible. Il pointe la nécessité de justifier le bio auprès des consommateurs puisqu’il est de l’ordre de 30 % plus cher.

« Des messages sont venus brouiller l’image sur l’agriculture biologique. Il faut expliquer que HVE, zéro résidus de pesticides, ce n’est pas pareil », martèle Jacques Frelin. Pour Éric Marzec, au-delà des arguments « sérieux » le vin bio doit aussi se saisir de la dimension plaisir, motif premier d’achat du vin aujourd’hui. Le spécialiste de la consommation constate également la montée en puissance du critère local. Un argument facile à plaider pour le vin bio.

Conquérir la restauration

Le débouché du CHR reste à développer pour la filière. France Boissons, distributeur du CHR, identifie l’écoresponsabilité comme une tendance forte en restauration. Selon une étude qu’il a fait réaliser par Food Service Vision en février 2022, plus d’un consommateur sur deux choisit un vin écoresponsable au restaurant. « Sur le 1er trimestre 2022 en comparaison à 2020, nos ventes de vins en bio et en biodynamie ont augmenté de 19 % en volume », indique aussi France Boissons. Mais comme en grande distribution, l’entreprise développe l’ensemble de son offre écoresponsable en cumulant les démarches. Elle affirme que 60 % de son offre vins en relève.

Un manque d’outils statistiques

« L’Agence bio repère la commercialisation et les surfaces mais après les vendanges, nous n’avons pas de chiffres exacts. La production est extrapolée avec des hypothèses de rendements », se désole Nicolas Richarme. Les derniers chiffres globaux de commercialisation connus à ce jour sont ceux de 2020. « Le bio se développe beaucoup mais les outils de pilotage ne vont pas à la même vitesse », abonde Anne Hubert des Vignerons bio Nouvelle Aquitaine. Seule l’évolution des ventes en grande distribution est suivie au fil des mois grâce aux panels. Nul doute que pour piloter une offre croissante, disposer d’outils statistiques appropriés est urgent pour la filière.

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