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Rupture abusive et trouble manifestement illicite : quelle sanction ?

La rupture de relations commerciales établies relève du droit des pratiques restrictives pour lesquelles seuls quelques tribunaux sont compétents et une seule cour d’appel, celle de Paris. Toutefois, le juge des référés peut appréhender la brutalité d’une rupture comme un trouble manifestement illicite.

Didier Le Goff, avocat
Didier Le Goff, avocat
© D. Le Goff

Les circonstances ayant entouré la rupture peuvent être si brutales et précipitées que la victime peut se tourner d’abord vers le juge des référés pour, dans l’urgence, endiguer autant que faire se peut les conséquences de la brutalité. C’est ce qui s’est produit dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation du 24 novembre 2021.

Une société d’abattage-découpe de porcs et sa filiale qui fabrique de la charcuterie sont en relation d’affaires depuis 2011 avec une troisième société qui achète ces marchandises. Invoquant l’augmentation du cours du porc, la société d’abattage a, courant juin 2019, proposé une hausse de prix de 20 % à sa cliente, laquelle n’entendait pas accepter plus de 8 %.

Les modalités de reprise des négociations commerciales

Les négociations ont donc échoué. La société d’abattage a notifié à sa cliente début juillet 2019 la fin de ses relations commerciales sur deux produits (jambon supérieur et jambon fumé) avec seulement un jour de délai, en indiquant qu’elle refusait toute négociation et qu’elle cesserait donc ses livraisons immédiatement. Quelques jours plus tard, la société acheteuse saisissait le juge des référés en invoquant un trouble manifestement illicite.

En effet, la société à l’origine de la rupture était l’unique fournisseur de jambon de la victime. Dès lors, la privation brutale de cette source d’approvisionnement, a fortiori à une période où la demande est forte, était appréhendée sans difficulté par le juge comme un trouble manifestement illicite que le juge des référés avait donc le pouvoir de faire cesser par une mesure provisoire, la brutalité de la rupture n’étant pas contestée.

Il était ordonné au fournisseur de reprendre ses livraisons pendant une durée de 4 mois, c’est-à-dire pour la période des mois de juillet, août, septembre et octobre 2019, mais au prix majoré de 8 % tel qu’il avait été proposé par l’acheteur durant les négociations qui n’ont pas abouti. Que la brutalité d’une rupture de relations commerciales puisse être appréhendée par le juge des référés comme un trouble manifestement illicite n’a rien d’une nouveauté. En effet, la Cour de cassation et la cour d’appel de Paris se sont plusieurs fois positionnées en ce sens depuis 2009.

Une prise en compte anticipée de la loi Egalim 2 ?

Plus curieuses, en revanche, sont les modalités de la reprise des relations commerciales pour une période de 4 mois, telles qu’elles ont été ordonnées par le juge des référés, confirmées par la cour d’appel ainsi que par la Cour de cassation, puisqu’il a été ordonné au fournisseur de reprendre les livraisons moyennant un prix majoré de 8 % tel qu’il avait, prétendument, été accepté par l’acheteur au cours des négociations.

Il est constant dans notre droit que lorsqu’une relation commerciale se poursuit durant un préavis, elle doit se poursuivre aux conditions convenues. Peut-on dire d’une majoration de prix qui a été simplement contre-proposée en réponse à une demande d’augmentation plus importante qu'elle a été acceptée, alors qu’il ressort expressément du dossier que cette contre-proposition n’a pas permis de faire aboutir les négociations ?

Est-ce l’amorce d’un revirement de jurisprudence sur cette question des conditions à respecter par les parties lors de la période de préavis ? Est-ce, au contraire, sur ce point très précis de la matière première agricole, une prise en compte anticipée par notre haute juridiction, de l’esprit de la loi Egalim 2 qui instaure, aux côtés de la clause de renégociation déjà obligatoire, une clause de révision de prix automatique ?

Maître Didier Le Goff

Fort d’une expérience de plus de vingt-cinq années, dont près de vingt ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l’entreprise, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire. Il a fondé, en 2018, avec quatre confrères de spécialités et barreaux différents, une plateforme dédiée aux segments de marché de l’agroalimentaire.

www.dlegoff-avocat.fr 24 bis rue Greuze 75 116 Paris

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