Fabrication d’aliments : des stratégies propres à chaque pays européen producteur de porcs
Alors que le prix des aliments du bétail atteint des sommets, l’Ifip a analysé les stratégies mises en place par les industriels de l’alimentation animale de trois grands pays européens producteurs de porcs.
Alors que le prix des aliments du bétail atteint des sommets, l’Ifip a analysé les stratégies mises en place par les industriels de l’alimentation animale de trois grands pays européens producteurs de porcs.
Selon la dynamique d’évolution de leurs productions animales et de la nature de leurs approvisionnements, les fabricants d’aliments industriels néerlandais, allemands et espagnols ont mis en place des stratégies de développement différentes. Dans le nord de l’Europe, la décroissance des productions animales et donc des quantités d’aliments fabriqués s’accompagne d’une segmentation plus poussée du marché. Elle oblige les industries néerlandaises et allemandes à augmenter la profondeur de leur gamme, générant ainsi des surcoûts. À l’opposé l’Espagne, grâce à la croissance de la production et des investissements logistiques, comble progressivement son handicap occasionné par la faible disponibilité de matières premières.
Pays-Bas : un prix d’aliment élevé compensé par la valorisation des coproduits
Le secteur de l’alimentation porcine au Pays-Bas est principalement basé sur de l’aliment composé : les 5 millions de tonnes produites par les fabricants d’aliment en 2019 répondent à 80 % du besoin estimé en aliment porcin, le reste est fourni par la fabrication d’aliment à la ferme (Faf). Les composants de cet aliment sont très dépendants des importations de matières premières, du fait de la faiblesse des superficies cultivées des Pays-Bas, en particulier en grandes cultures. Malgré leurs infrastructures logistiques compétitives telles que le port de Rotterdam pour les importations de céréales, de soja et de tourteaux, les prix des matières premières restent supérieurs aux prix des céréales et tourteaux produits nationalement chez leurs concurrents européens. Le prix de l’aliment en est impacté et s’élevait en moyenne sur la période 2018-2020 à 247 euros la tonne, soit 4 % supérieurs au prix français.
Pour compenser ce différentiel de coût et aussi la baisse du cheptel porcin (-1,5 % en 10 ans), créant plus de concurrence entre les fabricants d’aliment industriels, les fabricants misent aujourd’hui sur l’innovation et la durabilité. L’utilisation de coproduits de l’agro-industrie représente la grande force du pays pour l’alimentation du bétail. En effet, selon Nevedi, la fédération des fabricants d’aliment du bétail, près de 10 % des matières premières utilisées en alimentation sont des coproduits. Les fabricants d’aliment ont ainsi établi une labélisation « économie circulaire » pour valoriser cette pratique auprès du consommateur. Les objectifs d’économie circulaire sont reconnus des consommateurs car ils sont soutenus par le gouvernement qui, d’ici 2030, souhaite réduire de 50 % l’utilisation de matériaux issus de l’extraction primaire (minéraux, pétrole et métaux) dans l’économie en général.
Allemagne : un aliment compétitif et une segmentation produits développée
L’Allemagne bénéficie de sa forte production de céréales et de la compétitivité de son industrie de trituration. En effet pour la campagne 2019-2020, les taux de dépendance aux importations en blé et en orge étaient respectivement de seulement 18 % et 13 %. Le pays est importateur de graines et exportateur de tourteau de soja vers ses voisins européens. Le transport fluvial, économique et développé, rend plus compétitif les tourteaux allemands. Sur une moyenne 2018-2020, l’aliment engraissement allemand était à 243 euros la tonne soit inférieur de 4 euros à celui des Pays-Bas, de 19 euros à celui de Catalogne et de 1 euro à celui de la France (244 €/t). Poussé par les attentes sociétales et environnementales, le développement de l’agriculture biologique et du sans OGM, le secteur de l’alimentation animale allemand s’adapte en proposant une segmentation du marché très dynamique. Même si la part de l’aliment porcin en bio et sans OGM reste encore faible comparativement aux autres filières animales, le bio représente aujourd’hui 5 % des volumes totaux d’aliment du bétail (2 % en France) et 35 % des tourteaux de soja sont sans OGM (13 % en France). Pour cette dernière part de marché, une menace persiste : la disponibilité en soja non OGM. En effet, avec l’augmentation dans les pays nord européens des démarches non OGM poussées notamment par la contractualisation avec les distributeurs, l’équilibre offre-demande en soja non OGM est très tendu et entraîne des prix élevés. De plus, seuls trois pays produisent à l’heure actuelle du soja non OGM (Brésil, Inde, Nigeria). On peut s’interroger à l’avenir sur la disponibilité de ce soja non OGM pour l’alimentation animale.
Espagne : la production d’aliments portée par les entreprises d’intégration
L’Espagne est aujourd’hui le premier producteur d’aliment du bétail en Europe, avec 25,2 millions de tonnes produites en 2019 ; l’aliment porcin représente 40 % de cette production nationale. La très grande majorité de cet aliment porcin (80 %) est produite par les filiales d’entreprises intégrant l’élevage et fréquemment des entreprises d’abattage-découpe et transformation. Ce modèle a permis aux filières de maîtriser les paramètres de la production et ainsi rattraper le retard technique comparativement à ses concurrents nord européens. En effet d’après Interpig, entre 2009 et 2019, l’indice de consommation a diminué de 9 % atteignant 2,70 kilos d’aliment par kilo de poids vif. Pour autant le prix de l’aliment espagnol reste supérieur à ses concurrents européens en raison de sa dépendance aux importations de matières premières. En moyenne sur la période 2018-2020 l’aliment engraissement espagnol est à 262 euros la tonne.
En Espagne, la production d’aliments différenciés est encore anecdotique, le marché du bio ou du sans-OGM est très peu développé. D’ailleurs, l’Espagne est l’un des pays européens favorables à la culture d’OGM. La segmentation des produits se fait principalement sur leur filière de qualité ibérique. Les tourteaux étant exclus du cahier des charges, le prix de l’aliment ibérique est 5 à 7 % moins élevé que l’aliment classique. En revanche les performances à l’engraissement sont moins bonnes.
Repères
La compétitivité du maillon alimentation animale dépend de divers facteurs pouvant être scindés en compétitivité coût (prix des matières premières, logistique, performance en élevage) et compétitivité hors coût (segmentation de la production, réponse aux attentes sociétales). La dynamique d’évolution de la production joue également beaucoup sur l’alimentation animale : la croissance de la production est favorable aux investissements de modernisation dans ce maillon de la filière, que ce soit en Faf (fabrication d’aliment à la ferme) ou Fab (fabrication d’aliment du bétail), tandis que la décroissance favorise les concentrations et rationalisation.