Inflation : les négociations commerciales 2023 s’annoncent explosives
De nombreuses entreprises jouent leur survie dans ces négociations commerciales 2023. Cette bataille annuelle n’a jamais été aussi cruciale pour le tissu industriel agroalimentaire, du fait du choc énergétique.
De nombreuses entreprises jouent leur survie dans ces négociations commerciales 2023. Cette bataille annuelle n’a jamais été aussi cruciale pour le tissu industriel agroalimentaire, du fait du choc énergétique.
Le 1er décembre, ont officiellement commencé les négociations tarifaires pour l’année à venir. Officiellement, car officieusement, cela fait des mois que les industriels discutent pour revaloriser leurs produits. Cela a plus ou moins fonctionné puisque l’inflation alimentaire a dépassé les 12 % au mois de novembre, selon Iri. Pour autant, les industriels se retrouvent encore à demander des hausses à deux chiffres pour cette nouvelle période de négociation annuelle, tant cela n’a pas suffi.
Pour preuve, le rapport de l’Inspection générale des finances, commandé par le ministère de l’Économie, fait état d’une baisse de 16 % de l’excédent brut d’exploitation (EBE) du maillon industriel, contre un recul de 1 %, côté distribution, et d’une progression de 12 %, côté production. Et le choc énergétique n’a même pas encore vraiment eu lieu, le pire étant à venir. « Je cite toujours cet exemple d’une coopérative multi-activités qui avait une facture de 2 millions d’euros en 2021 et prévoit 17 millions d’euros en 2023, pour un résultat net de 3 millions d’euros », raconte Dominique Chargé, président de La Coopération agricole, « elle ne peut pas continuer son activité s’il n’y a pas de prise en compte de ces hausses ».
Des factures énergétiques exorbitantes
En 2022, seules les augmentations des coûts de la matière première agricole entraient en jeu dans les négociations. Malgré la sanctuarisation de ces matières premières agricoles grâce à la loi Egalim 2, elles se débattaient aussi autour des justificatifs à apporter pour prouver les hausses, la fameuse transparence inscrite dans la loi. D’où l’idée d’ailleurs des trois propositions de loi déposées à date par trois députés de groupes parlementaires différents pour permettre une certification des conditions générales de vente (CGV) avant la négociation, et une certification du contrat après la négociation. Cette année, le choc énergétique vient ajouter encore plus de complexité et d’incertitude.
«Sur l’énergie, c’est un waouh ! il y a des vraies tensions», Jean-Philippe André, président de l’Ania
« Sur l’énergie, c’est un waouh ! il y a des vraies tensions. La grande distribution dit : "Nous aussi nous avons le même choc, alors on n’en parle pas." Match nul ! Mais on va droit dans le mur si on procède comme ça », estime Jean-Philippe André, président de l’Ania. « Si les PME ne mettent pas dans leurs tarifs cette hausse énergétique, elles vont arriver à d’importants déséquilibres de leur compte d’exploitation, c’est très grave, estime-t-il. Et malgré les aides de l’État, il y a un reste à payer qui fragilise les PME. Et on oublie un peu vite le Covid et le PGE (prêt garanti par l’État, NDLR) que certaines doivent encore rembourser. »
Début décembre, 50 % des adhérents de l’Ania avaient démarré leurs négociations. À l’occasion d’une conférence de presse organisée le 1er décembre, Michel-Édouard Leclerc, président du conseil stratégique du distributeur du même nom, évoquait de son côté n’avoir reçu que « 10 % des CGV ».
Des CGV difficiles à rédiger
Pourquoi si peu même si « c’était déjà le cas l’année dernière », a-t-il précisé ? Les entreprises sont déboussolées face à l’incertitude qui plane sur leurs coûts de production. Comment proposer des tarifs sans savoir de quels accompagnements elles vont pouvoir bénéficier ? « C’est très difficile de faire des négociations au plus juste, alors qu’il y a peu de visibilité sur les coûts de l’énergie pour l’année prochaine. 90 % des entreprises qui ont pris des contrats sur douze mois sont concernées par les renégociations de leur contrat énergie. Aujourd’hui, pour certains, la facture est multipliée par cinq. Avec les aides de l’État, ce sera peut-être fois quatre », détaille pour sa part, Léonard Prunier, président de la Feef.
Le tissu industriel en jeu
Ce qui se joue dans ces négociations 2023 est la capacité du tissu industriel agroalimentaire à continuer de produire. Toutes les fédérations sont d’accord sur ce constat. « Si les distributeurs ne veulent pas prendre en compte cette situation, ne veulent pas avoir un comportement, on va dire, bienveillant ou compréhensif, ils mettent la chaîne d’approvisionnement alimentaire en danger. On est allé beaucoup trop loin dans la dévalorisation de la production agricole, et là, nous entrons dans une fragilisation extrême de la chaîne agricole comme agroalimentaire », s’alarme Dominique Chargé.
«Si les distributeurs ne veulent pas prendre en compte cette situation, ils mettent la chaîne d’approvisionnement alimentaire en danger», Dominique Chargé, président de La Coopération agricole
Pour l’heure, peu de défaillances sont à constater dans le monde agroalimentaire. Mais qu’en sera-t-il en 2023 ? Dans une enquête réalisée par la Feef, rendue publique en septembre 2022, 21 % des adhérents de la Feef indiquaient avoir déjà réalisé des licenciements. « On sentait déjà un mouvement. 49 % des PME ont une chute de leur EBE supérieur à 30 %. Les entreprises sont en mode survie », conclut Léonard Prunier, qui réitère la demande de sa fédération de voir appliquer le tarif des industriels qui englobe tout, la hausse des coûts, les salaires, les investissements. L’enjeu de ces négociations est « énorme ».
l’avis de
Anne Rogez, avocat au cabinet Racine à Paris, spécialisée en droit des contrats, concurrence, distribution et consommation, tant en conseil qu’en contentieux.
« Il est peu probable – mais pas totalement exclu – que les nouvelles mesures s’appliquent aux négociations 2023 »
« Les 15 et 29 novembre 2022, deux propositions de loi ayant pour objet de modifier le cadre légal applicable aux négociations commerciales ont été déposées à l’Assemblée nationale : la première par monsieur Julien Dive (LR) et la seconde par monsieur Frédéric Descrozaille (Renaissance).
Sans revenir de manière exhaustive sur les dispositions de chacune de ces deux initiatives, nous relevons que celles-ci confirment, de manière bienvenue, (i) le caractère de lois de police des dispositions du titre IV du livre IV du Code de commerce, auxquelles il n’est donc pas possible de déroger dès lors que les produits ou services concernés sont commercialisés sur le territoire français, et (ii) qu’en l’absence d’accord au 1er mars entre un fournisseur et un distributeur, toute commande effectuée par ce dernier se fait sur la base du tarif et des conditions générales de vente en vigueur.
Par ailleurs, il convient de souligner que le projet porté par monsieur Dive ambitionne spécialement de mettre fin à la « destruction de valeur » dans le secteur des produits d’hygiène et d’entretien, en étendant aux PGC certaines dispositions issues des lois dites « Egalim 1 » et « Egalim 2 ».
Ces propositions, qui ne comportent pas de précision quant à leur date d’entrée en vigueur, doivent désormais faire l’objet de travaux parlementaires en vue d’une éventuelle adoption, travaux dont le calendrier n’a pas encore été fixé. Il est donc peu probable – mais pas totalement exclu – que les nouvelles mesures s’appliquent aux négociations 2023 qui ont déjà débuté. »