Task force : la réponse de Bruxelles à la crise agricole ?
Les difficultés économiques actuelles des agriculteurs français ont pour origine des causes multiples. Selon eux, le dumping social pratiqué par certains pays, des charges sociales trop importantes et des normes trop strictes nuisent à la compétitivité de la production française. Mais surtout, la filière agricole, déjà fragilisée par la guerre des prix, a été frappée de plein fouet à l'été 2014 par l'embargo russe sur les produits européens. Puis, en avril dernier, la fin des quotas laitiers – mesure phare mise en place par la politique agricole commune (Pac) dans les années 1980 – a largement contribué à faire chuter les cours de cette matière première. Aussi, la crise agricole peut s'expliquer par la difficile articulation entre les deux grandes politiques de l'Union européenne : la politique de concurrence et la Pac.
L'exception agricole du traité de Rome
Il convient de rappeler que lors de la création de la Communauté économique européenne en 1957, le traité de Rome soulignait le « caractère particulier de l'activité agricole » et prévoyait ainsi que « les dispositions du chapitre relatif aux règles de concurrence ne sont applicables à la production et au commerce des produits agricoles que dans la mesure déterminée par le Parlement européen et le Conseil ». Ainsi, le traité fondateur créait une « exception agricole » à l'application du droit commun de la concurrence, mais à la discrétion du Parlement et du Conseil.
C'est justement le Conseil qui a le premier atténué cette exception, lors de la mise en place de la Pac en 1962. L'article 1er du règlement du Conseil no 26/62, portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles, prévoyait que le droit de la concurrence s'appliquait à l'agriculture. Les textes suivants ont conservé cette philosophie, pourtant contraire à celle du traité.
Aujourd'hui, l'exception agricole en droit de la concurrence a quasiment disparu puisqu'elle se limite désormais à deux types d'accord en matière d'ententes : les accords nécessaires à la réalisation des objectifs de la Pac et les accords conclus entre associations de producteurs et/ou les associations d'associations de producteurs qui s'intègrent à une organisation commune de marché (OCM). Dans ce contexte, la réponse de la CJUE, à la récente question préjudicielle de la Cour de cassation dans le cadre de l'affaire du cartel des endives, est très attendue. Il semble toutefois peu probable que les juges de Luxembourg saisissent cette occasion pour redonner toute sa place à la spécificité agricole prévue par les traités.
De son côté, la Commission européenne a mis en place un nouveau groupe de travail sur les marchés agricoles, l'« agricultural markets task force » (AMTF), dont l'objectif général est d'améliorer la situation et la position des agriculteurs au sein de la chaîne d'approvisionnement.
Recommandations politiques
L'ex-ministre de l'Agriculture hollandais, Cees Veerman, présidera ce nouveau groupe de travail, composé de onze autres experts reconnus pour leur expérience et leur expertise dans les différents aspects de la chaîne alimentaire, de la production à la distribution.
D'autre part, l'AMTF pourra recourir à des experts externes. Le Conseil, le Parlement et la Commission pourront apporter leurs contributions. Les réunions auront lieu régulièrement jusqu'à l'automne 2016, échéance à laquelle est attendu le rapport final du groupe de travail. Il devrait contenir des recommandations politiques, d'éventuelles initiatives législatives et fournir ses conclusions sur des questions aussi diverses que la transparence des marchés (qui sera abordée le 8 mars), les possibilités d'organisation de relations contractuelles plus équilibrées, les possibilités légales d'entreprendre des actions collectives des exploitants ou encore l'accès des agriculteurs aux instruments financiers et aux marchés à terme pour couvrir les risques de prix. Ce nouveau groupe de travail sera sans nul doute confronté à l'épineuse question de l'exception agricole en droit de la concurrence...
Keller & Heckman est un cabinet international de droits des affaires, spécialisé en droits agroalimentaires, matériaux en contact alimentaires, environnement et publicité, présent à Bruxelles, Paris, San Francisco, Shanghai et Washington. Katia Merten-Lentz est avocate-associée au sein du cabinet Keller & Heckman. Elle est chargée de toutes les questions agroalimentaires, européennes et nationales, et ce, pour toutes les filières de la chaîne alimentaire. Elle intervient tant en conseil qu'en contentieux, auprès des industries de l'agroalimentaire pour la mise en œuvre de la réglementation agricole et alimentaire de l'Union européenne.