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Rupture des relations établies et contrat de coopération

Bruno Néouze, avocat au cabinet Racine.

La Cour de cassation vient de se prononcer sur l’opposabilité de l’article L.441-6, I, 5° du Code de commerce à une société coopérative dans sa relation avec un associé. Une jurisprudence nouvelle.

Selon l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, tout producteur, commerçant, industriel ou artisan, qui rompt brutalement une relation commerciale établie sans respecter un délai de préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant le minimum déterminé par accord interprofessionnel ou par arrêté ministériel, engage sa responsabilité et doit réparer le préjudice causé.

La cour d’appel de Paris avait considéré, par un arrêt du 28 mai 2015, que cette disposition devait s’appliquer à toute relation commerciale et notamment à celle nouée entre deux personnes morales commerçantes, quelle qu’en soit la forme, constituées pour l’exploitation d’un fonds de commerce. Elle avait donc accueilli favorablement la demande de dommages et intérêts formée par une société de transport à l’encontre de la coopérative régie par les dispositions de la loi du 10 septembre 1947 qui l’avait exclue conformément à ses dispositions statutaires ; lesquelles ne prévoyaient pas de préavis de rupture.

Les statuts régissent la rupture des liens

Se prononçant à nouveau dans une affaire similaire concernant une coopérative de commerçants détaillants, elle a encore très récemment jugé, par un arrêt du 26 janvier 2017, que le fait qu’une société soit régie par des dispositions légales spécifiques relatives aux coopératives ne la dispensait pas du respect d’un préavis conforme aux dispositions du Code de commerce lorsqu’elle rompait ses relations avec un associé en en prononçant l’exclusion.

Allant à l’encontre de cette jurisprudence du juge du fond et censurant l’arrêt du 28 mai 2015, la Cour de cassation vient au contraire de juger que dès lors que les statuts des coopératives doivent fixer, par application de l’article 7 de la loi du 10 septembre 1947, les conditions d’adhésion, de retrait et d’exclusion des associés, ce sont ces statuts qui seuls régissent les conditions dans lesquelles les liens unissant l’associé à la société coopérative peuvent cesser, de sorte que la rupture de ces liens échappe à l’application de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce.

L’article 7 de la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération dispose en effet que « les statuts des coopératives […] fixent les conditions d’adhésion, le cas échéant d’agrément, de retrait, de radiation et d’exclusion des associés […] ».

Un lien sociétaire rompu

La règle qui sous-tend la position de la Cour suprême est connue du juriste sous l’adage latin « specialia generalibus derogant », qui signifie que la loi générale doit s’effacer derrière les dispositions spéciales : ici, les dispositions générales du Code de commerce doivent laisser place aux dispositions spécifiques applicables aux coopératives. Certes, on pourrait prétendre que, dès lors que la loi de 1947 ne se prononce pas sur la durée d’un éventuel préavis, il n’y a pas de dérogation sur ce point au Code de commerce, qui doit donc s’appliquer, mais ce serait sans doute aller un peu vite en besogne.

La relation entre une société coopérative et ses adhérents n’est pas une simple relation commerciale au sens de l’article L.441-6, I, 5° du Code de commerce et l’exclusion prononcée obéit à sa propre logique, qui n’est pas celle de la seule rupture d’un contrat de vente ou d’achat. C’est un lien sociétaire qui est rompu, et qui ne peut l’être que pour des raisons de fond et selon une procédure stricte établies par les statuts. Un préavis peut être statutairement institué, mais s’il ne l’est pas, ou s’il ne respecte pas les critères du Code de commerce, cela résulte du caractère spécifique d’une relation inscrite sous une forme sociétaire.

Le contrat de coopération n’est pas une forme indifférente de relation commerciale ; il est générateur d’un faisceau de droits et obligations à caractère institutionnel dont seuls les statuts et leurs annexes (règlement intérieur) peuvent rendre compte. Pour qu’il soit dérogé aux règles qui en découlent, il faudrait que la loi le prévoie expressément, ce qui n’est pas le cas de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce.

LE CABINET RACINE

Racine est un cabinet d’avocats indépendant spécialisé en droit des affaires. Avec un effectif total de deux cents personnes en France (Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Strasbourg et Saint-Denis de La Réunion), il réunit près de soixante-dix avocats et juristes à Paris. Il dispose également d’un bureau à Bruxelles et à Beyrouth. Bruno Néouze, associé, y traite avec son équipe les questions relatives à l’agriculture et aux filières agroalimentaires. Il conseille et assiste de nombreuses entreprises agroalimentaires et organisations professionnelles et interprofessionnelles agricoles.

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