Publicité pour les alcools : revirement de jurisprudence
L'arrêt rendu le 1er juillet 2015 par la première chambre civile de la Cour de cassation met un terme à près de dix années de procédure dans le conflit qui a opposé l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme et des addictologies (Anpaa) au Comité interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB). Ce long conflit posait la question de savoir comment mettre en œuvre une publicité pour une boisson alcoolisée malgré les contraintes strictes de la loi Évin qui définit notamment une liste de mentions permises. Cette loi a été un peu assouplie en 2005 par le législateur, qui a permis de faire référence à des appellations d'origine telles que définies par l'article L.115-1 du Code de la consommation, comme d'évoquer des facteurs humains qui sont l'une des composantes nécessaires de la reconnaissance d'une appellation d'origine.
L'on se souviendra que la publicité en question mettait en scène dans sept tableaux différents, des personnages présentés comme étant des professionnels du secteur de la viticulture apparaissant chacun avec un verre de vin. L'Anpaa avait stigmatisé ces mises en scène car les personnages ne font pas partie des mentions permises par le Code de la santé publique pour les publicités en faveur d'une boisson alcoolisée. Déjà en 2010, la cour d'appel de Paris avait considéré que quand bien même la liste du Code de la santé ne comprend pas les personnages, des professionnels du secteur apparaissant dans leur fonction officielle sont une re-présentation des facteurs humains que la loi permet depuis 2005.
Interprétation stricte en 2012
La Cour, par un arrêt du 23 février 2012, était revenue à une interprétation extrêmement stricte du Code de la santé publique en affirmant que « les affiches en cause comportent des références visuelles étrangères aux exigences de ce Code et visent à promouvoir une image de convivialité associée aux vins de Bordeaux de nature à inciter le consommateur à absorber les produits vantés ». La cour d'appel de Versailles avait résisté à cette prise de position par son arrêt du 3 avril 2014. Elle y observait que la publicité ne peut avoir comme objectif que de modifier le comportement de son destinataire en provoquant l'achat du produit présenté ou le désir d'acheter et de consommer, et que l'objectif de la loi Évin n'est pas la prohibition générale mais la prévention de l'alcoolisme. La Cour n'avait alors que deux solutions : soit à l'instar de la cour d'appel de Versailles, aller dans le sens d'un assouplissement, soit réaffirmer son attachement à une application de la loi très stricte. C'est la première solution qui va prévaloir par l'arrêt du 1er juillet 2015.
AOC et facteur humain
La Cour relève tout d'abord que les personnages figurant sur les affiches ne sont pas présentés comme des consommateurs, mais se rattachent au facteur humain visé par l'article L.115-1 du Code de la consommation définissant les appellations d'origine. Elle affirme ensuite que « la seule représentation de personnages ayant un verre à demi plein à la main ne dépasse pas les limites fixées par le texte qui exige une représentation objective du produit tels que sa couleur ou son mode de consommation ». « L'impression de plaisir qui se dégage de l'ensemble des visuels ne dépasse pas ce qui est nécessaire à la promotion des produits et inhérent à la démarche publicitaire proprement dite, laquelle demeure licite », et enfin, « l'image donnée de profession investie par des jeunes, ouverte aux femmes et en recherche de modernité est pleinement en accord avec les dispositions légales autorisant une référence aux facteurs humains liés à une appellation d'origine ». C'est donc bien l'ouverture législative de 2005 qui permet cette avancée.
Mais au-delà, il est intéressant de rapprocher, à trois ans d'intervalle, l'arrêt de fermeture de la Cour en 2012, et l'arrêt d'ouverture de la même Cour en 2015, à partir, nécessairement, des mêmes faits et d'un texte qui n'a pas évolué entre 2012 et 2015. C'est dire l'importance et la difficulté de l'application de la loi par le juge qui peut aboutir à consacrer des solutions radicalement différentes.

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Maître Didier Le Goff a développé une compétence générale en droit économique avec une prédilection pour l'agroalimentaire, et s'est aussi spécialisé en droit des marques qu'il enseigne en master II Droit de l'agroalimentaire de l'université de Nantes.