Principe de précaution : la Cour de cassation met des garde-fous
Des voisins voulaient empêcher un agriculteur de pratiquer un épandage aérien de phytosanitaires, souhaitant que le traitement soit réalisé sous serre. Et ce, en considérant que, s'agissant d'un principe de précaution, il ne leur était pas nécessaire de démontrer qu'ils avaient subi un dommage lié à cette pratique. Dans un arrêt du 20 novembre 2013, la Cour de cassation vient de rejeter cette approche et semble avoir fait une approche exacte et rigoureuse du principe de précaution en lien avec la théorie des troubles anormaux du voisinage.
D'abord énoncé par des traités internationaux, le principe de précaution a été introduit dans notre Code de l'environnement et au travers de la Charte de l'environnement qui a valeur constitutionnelle depuis 2005. Le règlement européen n° 178/2002 prévoyait pour la première fois l'application possible de ce principe en matière alimentaire.
Ce principe est ainsi défini par la Charte de l'environnement : « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » Deux éléments sont particulièrement importants dans cette définition : l'idée qu'un dommage soit possible, mais pas encore certain en l'état de la connaissance scientifique et la nécessité d'adopter des mesures provisoires et proportionnées pour empêcher le dommage. Le terrain du principe de précaution est celui d'une connaissance scientifique non aboutie ne permettant pas de mesurer le risque supposé dans toute son étendue. En pareil cas, l'adoption de mesures provisoires s'impose comme une évidence.
Principe de prévention
Par opposition, si la connaissance scientifique est suffisamment aboutie pour identifier le risque dans toute son étendue, ce n'est pas le principe de précaution qui s'impose, mais le principe de prévention qui impose de traiter le risque par des mesures qui peuvent n'avoir rien de provisoire. Ainsi, principe de précaution comme principe de prévention sont avant tout des principes d'action face à une incertitude scientifique dans un cas, ou à une certitude scientifique dans l'autre. Mais une dérive conduit parfois à requérir l'application du principe de précaution comme un principe d'inaction en cas de risque potentiel lié à des technologies dont les effets ne sont pas encore entièrement connus, et alors que les scientifiques débattent à ce sujet. Telle est par exemple la position de la France à l'égard de certains OGM, autorisés en Europe. Telle était également la position des plaignants dans l'affaire soumise à la Cour de cassation qui souhaitaient que l'interdiction pure et simple de réaliser des épandages aériens soit faite à leurs voisins pour ne pas risquer de voir leur propriété atteinte par les produits phytosanitaires répandus.
Principe de responsabilité civile pour faute
La Cour de cassation relève que nous ne sommes pas dans une situation d'incertitude scientifique puisque de toute évidence, les effets potentiels du produit répandu sont connus. S'ils sont jugés indésirables par certains voisins, il y aura trouble anormal du voisinage qui est un fait de l'homme et qui oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
C'est donc à juste titre que la Cour de cassation renvoie aux principes de la responsabilité civile pour faute qui suppose avant tout que le préjudice soit né, et qu'il soit certain. Un préjudice qui n'est qu'éventuel ne présente pas les caractéristiques d'un préjudice réparable. Dans ces circonstances, il était logique de considérer que le principe de précaution ne pouvait être secourable aux plaideurs qui ne peuvent solliciter la réparation d'un dommage que s'ils l'ont subi.
LPLG Avocats regroupe une dizaine d'avocats et juristes privilégiant la proximité avec leurs clients et la connaissance de leur métier. Outre son activité plaidante, il fournit des conseils juridiques favorisant la prévention par rapport au contentieux et intervient surtout en droit économique (concurrence, distribution, consommation, propriété intellectuelle, contrats…). Maître Didier Le Goff a développé une compétence générale en droit économique avec une prédilection pour l'agroalimentaire, et s'est aussi spécialisé en droit des marques qu'il enseigne en master II Droit de l'agroalimentaire de l'université de Nantes.