Œufs : une conjoncture inhabituelle
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A 7,23 euros les 100 œufs la semaine dernière, la moyenne des calibres L et M de la tendance nationale officieuse (TNO) dépasse d’un peu plus de 46 % son niveau de l’an dernier. Une telle fermeté s’explique par une hausse régulière des tarifs à partir de Pâques. Ce redressement a surpris l’ensemble de la filière française, habituée, en cette période, à un repli des cours sous l’effet d’une moindre consommation puis par la présence de plusieurs jours fériés au mois de mai, qui perturbent les échanges. L’étonnement est d’autant plus grand que la France n’est pas le seul pays européen à suivre ce mouvement ; quasiment toute l’Europe note une certaine fluidité de son commerce.
Plusieurs paramètres peuvent justifier cette orientation des tarifs, à commencer par une baisse de l’offre au sein de l’Union européenne. Selon l’Institut technique de l’aviculture (Itavi), la production française se serait repliée de 2,7 % de janvier à la mi-mai par rapport à la même période de 2008. Malgré l’absence de données fiables chez nos voisins européens, la tendance semble là aussi au recul des disponibilités.
La consommation joue aussi un rôle important dans la tenue des tarifs depuis le début de l’année. Celle-ci se maintient à des niveaux acceptables, voire se développerait pour les œufs calibrés . Selon la plupart des professionnels, les commandes des détaillants (et notamment de la grande distribution) sont soutenues depuis le début de l’année. En revanche, cela se ferait au détriment des ovoproduits. Les industriels sont unanimes : depuis janvier, leurs ventes se situent, en volume comme en valeur, en dessous de leurs attentes ou seraient à peine suffisantes à certaines périodes. La frilosité est de mise chez leurs clients, qui notent une baisse de la consommation de leurs produits. Finalement, ce que l’on pressentait ces derniers mois se confirme : l’œuf est un produit bon marché, ce qui lui confère un plus grand intérêt de la part des ménages, particulièrement en ces temps de crise économique.
Cette tendance à la tenue des achats des ménages se retrouve par ailleurs chez nos voisins européens, en particulier espagnols et britanniques. Seuls les états membres du Nord ont des conclusions plus mitigées : ambiance calme pour les œufs de cage, mais demande intéressée pour les œufs alternatifs, en particulier plein air. Toutefois, cela cache un contexte commercial, et surtout réglementaire, bien différent du nôtre.
Allemagne : une offre mal adaptée à la demande
Le commerce nord européen dépend avant tout d’un pays : l’Allemagne. Or, dans cet état, les détaillants (Aldi et Lidl en tête), axent depuis plusieurs mois leurs achats sur les œufs issus des systèmes alternatifs, au détriment des œufs de cage. A cela s’ajoute une obligation nationale d’appliquer la directive européenne sur le bien-être des poules pondeuses dès le 1 er janvier 2010, alors qu’elle n’entrera en vigueur qu’au 1 er janvier 2012 dans les autres états membres. Ainsi, le maillon production se met dès aujourd’hui aux normes, entraînant une phase de transition entre œufs de cage et œufs alternatifs, non sans conséquence sur l’orientation du commerce national. Ce n’est plus le contexte européen (baisse de l’offre et bonne tenue de la demande) qui influence les prix, mais avant tout le marché intérieur. L’offre en œufs de cage se replie peu à peu, alors que les industriels allemands continuent à avoir des besoins réguliers, bien que moins soutenus compte tenu de l’économie mondiale. Dans le même temps, la demande en consommation est nulle, ne s’intéressant qu’à l’alternatif. Plus précisément, si le commerce du plein air est dynamique, tirant les cours à la hausse, les œufs de poules élevées au sol s’écoulent plus difficilement du fait d’une progression des disponibilités liée à la mise aux normes des bâtiments, mais aussi à l’arrivée d’œufs néerlandais plus compétitifs.
De nouvelles surprises pour la fin d’année
Le marché allemand va poursuivre sa mutation ces prochains mois, pour ne prendre sa nouvelle physionomie qu’en janvier 2010 au plus tôt. Chaque opérateur va devoir reprendre ses marques. Si le rythme peut rapidement être pris pour les œufs destinés à la consommation, les industriels vont devoir s’adapter, pris en étau entre un commerce mitigé en aval, leur volonté de contenir voire peser sur leurs prix d’achat, une diversité de l’offre et des disponibilités plus ou moins larges selon le type de marchandise considérée (de cage, au sol, plein air, bio...).
Cette problématique allemande pourrait avoir des conséquences sur le commerce européen des œufs tout venant. L’Allemagne pourrait tantôt se montrer aux achats, tantôt être à la vente, pesant ou dynamisant les ventes chez ses voisins. En aval, cependant, aucune relance ne semble vouloir se dessiner.
Du côté de la consommation, en revanche, il est fort à parier que les besoins des ménages vont rester proches de leurs niveaux de l’an dernier. Aucun retour de l’offre n’étant annoncé, rien ne permet d’envisager un net affaissement des cours ces prochains mois, bien qu’un effritement saisonnier se profile à l’horizon.