Négociations commerciales : Décryptage de la proposition de loi modifiant Egalim 2
Hervé Lecaillon, avocat directeur associé du cabinet Fidal, spécialisé dans le droit de la concurrence, de la distribution et de la consommation, décrypte la proposition de loi n°479 déposée le 15 novembre à l’Assemblée nationale par des députés de Les Républicains, afin de corriger les "effets de bord" de la loi Egalim 2.
Hervé Lecaillon, avocat directeur associé du cabinet Fidal, spécialisé dans le droit de la concurrence, de la distribution et de la consommation, décrypte la proposition de loi n°479 déposée le 15 novembre à l’Assemblée nationale par des députés de Les Républicains, afin de corriger les "effets de bord" de la loi Egalim 2.
Nous l’annoncions hier le 17 novembre, une proposition de loi a été déposée le 15 novembre à l’Assemblée nationale par des députés de Les Républicains afin de « sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation et assurer l’avenir du fabriqué en France ». Elle a été renvoyée à la commission des Affaires économiques et pour l’heure n’est pas inscrite à son ordre du jour.
Il ne s’agit pour l’instant que d’une proposition de loi dont on ne peut anticiper, à ce jour, ni l’adoption par le Parlement, ni son application aux négociations commerciales 2023.
Hervé Lecaillon, avocat directeur associé du cabinet Fidal, spécialisé dans le droit de la concurrence, de la distribution et de la consommation, décrypte pour vous les quatre principales propositions.
Qu’implique le premier article pour les centrales d’achat des distributeurs ?
Hervé Lecaillon : Ce premier article affirme que le dispositif du titre IV du livre IV du Code de commerce est une loi de police, ce qui signifie que son application ne peut être écartée par le contrat. Cela couperait l’herbe sous le pied des centrales d’achat de distributeurs organisées hors de France. Certains pensent en effet qu’il faut en faire une loi de police pour que l’on ne puisse pas écarter l’application du droit français car plus contraignant pour les distributeurs. Cela impliquerait que tous les accords de ces centrales d’achat européenne, comme celle d’Eurelec, seraient soumis au droit français. La question centrale va être de savoir comment faire pour soumettre une partie d’un contrat au droit français et l’autre partie au droit d’un autre pays européen, puisqu’en l’occurrence, par exemple, Eurelec négocie aussi pour Rewe distributeur situé en Allemagne. La cour de justice européenne pourrait être saisie. On sait que certains distributeurs s’opposent à cette disposition qui impose le droit français.
L’article 2 concerne le DPH et plus généralement les PGC et vise à leur appliquer les mêmes règles que celles applicables aux produits alimentaires (principe du ligne à ligne, plafonnement des promotions, interdiction de la discrimination tarifaire dépourvue de contrepartie.). A priori pas d’effet sur l’alimentaire ?
H. L. : La loi Egalim 1 encadre les promotions pour l’alimentaire en valeur et en volume et augmente le seuil de revente à perte à 10%. L’expérimentation de ces deux dispositifs a d’ailleurs été prolongée jusqu’en 2023. Alors qu’en DPH, les promotions se sont envolées à la demande des distributeurs depuis l’entrée en vigueur de la loi Egalim 1. Les distributeurs avaient reporté les budgets promotionnels de l’alimentaire vers le DPH, ce ne serait plus possible.
Enfin les articles 3 et 4 vont dans le sens des recommandations du médiateur des relations commerciales agricoles.
H. L. : Ces deux articles semblent aller dans le bon sens,. L’article 3 parce que les négociations commerciales ne se sont jamais arrêtées cette année. Il y a beau avoir une date butoir, beaucoup ne se sont pas mis d’accord au 1er mars. Alors sur quelles bases poursuivre les relations commerciales ? Il y a deux positions sur ce sujet : la position civiliste qui considère que s’il n’y a pas d’accord, le contrat précédent continue et la position commercialiste qui dit que s’il n’y a pas d’accord, on se réfère aux CGV du fournisseur et donc à son tarif. L’article 3 propose de prendre en compte les conditions générales de vente en vigueur dès le 2 mars de chaque année. Elles ont donc tout intérêt à être datées. Le risque que je vois derrière cet article 3 est la pression importante des distributeurs qui va encore augmenter pour faire signer un accord au 1er mars, en argumentant sur l’arrêt des commandes en cas de non-accord. Il risque d’y avoir un effet un peu pervers à cet article.
Quant à l’article 4 sur l’intervention du tiers indépendant, certains industriels, ont déjà fait certifier leur MPA (matières premières agricoles) avant et après signature du contrat. Avec la loi Egalim 2, certaines négociations ont empiétés sur les MPA, ce qui a été constaté par le tiers indépendant après signature du contrat. Et l’industriel n’a jamais réussi à renégocier avec les distributeurs, ce qui est illégal bien sûr. Les deux attestations avant et après pourraient éviter ce cas de figure.
Est-ce les prémices d’une future nouvelle loi sur les relations commerciales, Egalim 3 ou tout autre nom d’ailleurs ?
H. L. : Nous ne sommes pas encore sur Egalim3 même si beaucoup la souhaite, avec le double constat qu’Egalim 2 n’a pas atteint la totalité des objectifs fixés et que la mise en œuvre de la clause de révision automatique a été un vrai casse-tête. D’ailleurs ce sujet n’est pas abordé dans cette proposition loi. Des amendements vont sûrement tomber et il serait bien qu’ils travaillent sur ce sujet de la clause de révision. On a eu peu de recul de cette clause, alors que celle sur la renégociation était plus connue. Clairement, les clauses de révision automatique ont été peu ou pas du tout négociées. Certains sont encore en train de discuter sur ce sujet au mois de novembre alors qu’on entame les négociations 2023. Cela n’a aucun sens. En tout cas, je doute que cette proposition de loi en état s’applique sur les négociations commerciales 2023, alors qu’on ne connaît même pas encore le calendrier d’examen.