Lost in translation, ou les balbutiements de la propriété intellectuelle en Chine
Longtemps la Chine a fait figure de plaque tournante de la contrefaçon mondiale. Culturellement, la reproduction n’y est pas considérée comme une faute, mais comme un mode très empirique d’acquisition du savoir. Or, les choses sont en train de changer petit à petit, depuis qu’en 2001, la Chine a adhéré à l’OMC.
Rédaction Réussir
Pour constituer une marque valable, un signe doit être susceptible de représentation graphique et être distinctif, c’est-à-dire capable de distinguer les produits ou services auxquels il se rapporte de ceux d’une entreprise concurrente. La jurisprudence communautaire a même précisé que la fonction principale de la marque est de renvoyer, dans l’esprit de l’utilisateur, un produit ou service à sa véritable origine industrielle ou commerciale, c’est-à-dire l’entreprise qui le commercialise ou le met en marché.
La distinctivité d’une marque est une condition essentielle bien que non suffisante de sa validité, car le signe doit aussi être arbitraire par rapport aux produits ou services qu’il désigne, et non descriptif. Par exemple, « gâteau » ne peut pas constituer une marque valable pour désigner un produit de pâtisserie, mais « vandale », si !
Le juge doit parfois apprécier la validité d’une marque qui n’est que la traduction dans une langue étrangère d’un terme du langage courant. La question est alors de savoir si le public peut comprendre la traduction et sa signification. Ainsi, le terme « Matratzen » (matelas en allemand) a été validé par le juge communautaire pour désigner des produits de literie, quand bien des marques de langue anglaise n’ont pas cette chance.
Les tribulations de Castel
Revenons en Chine. Le Français Castel, premier exportateur de vin dans ce pays avec 30 millions de cols vendus en 2011, a protégé son nom et le logo Castel dès son arrivée en Chine en 1998, mais n’a visiblement pas pris la même précaution avec la traduction chinoise de son nom. Or, au début des années 2000, un opérateur chinois a déposé une série de prestigieux noms de marque (Castel, Lafitte, Mouton, Penfold, Diageo) ainsi que leur traduction en chinois, et notamment Kasite pour Castel.
Ainsi en 2005, quand le groupe Castel a créé sa filiale chinoise et entrepris de protéger ce nom, elle s’est retrouvée assignée pour contrefaçon de son propre nom ! Le tribunal moyen de Wenzhou l’a condamnée à une amende pour contrefaçon de la marque Kasite. Castel a interjeté appel en reprochant au juge chinois de n’avoir pris en compte que l’antériorité du dépôt de la marque par l’opérateur chinois sans considérer l’usurpation de notoriété que constitue cet acte, « réfutant ainsi le droit d’une entreprise à disposer de son nom ». De ce point de vue, l’initiative de l’opérateur chinois Li Daozhi ayant consisté à déposer en Chine des marques déjà connues mais dont la notoriété a été développée par des tiers correspond typiquement à un dépôt de marque dite de barrage.
En France et en Europe, de tels dépôts peuvent être revendiqués en justice par l’opérateur auquel elles sont opposées. De telles dispositions ne semblent pas exister en Chine, ce qui expliquerait que le juge n’ait tenu compte que de l’antériorité de la marque de Li Daozhi.
Le deuxième point qui retient notre attention est que, d’après nos informations, en 2000, Li Daozhi a déposé non seulement ses marques sous forme d’idéogramme, mais également dans leur graphisme d’origine. Or, depuis 1998, Castel dispose en Chine de droits sur le nom Castel.
Qu’un juge chinois nous dise que l’idéogramme chinois du nom Castel, Kasite, n’est pas le même signe que le nom Castel lui-même, n’a rien de surprenant car le graphisme est différent. En revanche, que le nom Castel ait pu être enregistré à nouveau en 2000 alors qu’il l’était déjà depuis 1998 par un autre opérateur est beaucoup plus surprenant car, en théorie, ce nom était indisponible puisque déjà réservé.
Tout ceci prouve que le droit chinois de la propriété intellectuelle n’en est qu’à ses balbutiements, et surtout qu’il est difficile pour les praticiens occidentaux d’appréhender de tels concepts.