Les interprofessions dans la réforme de la Pac : une cruelle incertitude
Le 12 octobre 2011, la Commission européenne a arrêté quatre grandes propositions de règlements pour la réforme de la Politique agricole commune, dont celle de règlement portant organisation commune des marchés des produits agricoles, dit « règlement OCM unique », qui comporte les dispositions relatives aux organisations interprofessionnelles. Sur la base de cette proposition, le rapporteur du Parlement européen (le Français Michel Dantin) a effectué un travail approfondi et souvent novateur, qui a abouti à une position adoptée par le Parlement le 13 mars 2013. Plus paresseux, le Conseil a adopté le 22 mars un texte s’en tenant pour l’essentiel à la proposition de la Commission.
Une transposition des règles françaises
Concernant la reconnaissance des organisations interprofessionnelles, le texte en discussion (articles 108 & sq) présente une innovation majeure : alors que jusqu’à présent l’organisation interprofessionnelle n’était prise en compte sur le plan communautaire que de manière sectorielle pour un nombre restreint de produits, elle serait dorénavant appréhendée de manière transversale, en permettant la reconnaissance d’organisations interprofessionnelles dans tous les secteurs, sur le modèle du droit interne français. Le Parlement propose d’affiner le texte en prévoyant des dispositions concernant les organisations interprofessionnelles déjà reconnues par les États membres, mais aussi en ajoutant ou parfois en allégeant les conditions de reconnaissance.
Ainsi, seules pourraient être reconnues les interprofessions qui « concernent des produits ou groupes de produits ne relevant pas d’une organisation interprofessionnelle préalablement reconnue », qui « exercent leurs activités dans une ou plusieurs régions du territoire concerné », et « qui représentent une part significative des activités liées à la production et liées à au moins une des étapes de la chaîne d’approvisionnement », ce qui revient à transposer, avec des mots différents, les règles françaises.
La capacité de faire étendre les règles adoptées risque cependant d’être singulièrement entravée si les conditions très strictes de représentativité actuellement envisagées (deux tiers du secteur intéressé pour le produit concerné) ne sont pas aménagées.
L’élargissement du pouvoir d’intervention de la Commission
Selon un phénomène de balancier bien connu, les avancées saluées dans le texte risquent d’être remises en cause dans les faits, compte tenu de la revendication par la Commission – non remise en cause par le Parlement et le Conseil – de larges pouvoirs d’intervention. La proposition de règlement confère en effet à la Commission la faculté d’adopter en la matière des actes délégués, actes complétant ou modifiant certains éléments du règlement (art. 290 du traité sur le fonctionnement de l’UE), et qui pourront notamment porter sur « les statuts, la reconnaissance, la structure, la personnalité juridique, l’affiliation, la taille, la responsabilité et les activités de ces organisations (...) », « l’externalisation des activités et la fourniture de moyens techniques par les organisations (...) » (art. 114). Autant dire que le pouvoir de tutelle des interprofessions risque de passer des États à la Commission. Or, une telle tutelle pourrait voir son fondement idéologique et institutionnel remis en cause si la Cour de justice de l’Union venait à considérer, comme elle y a été invitée par son avocat général, les interprofessions comme des organismes privés gérant des ressources privées !
C’est sur la base de ces différentes positions qu’une série de trilogues approfondis a été lancée en avril, entre le Conseil, le Parlement européen et la Commission, dans le but de parvenir à un accord en juin prochain, permettant l’entrée en vigueur du règlement OCM unique dès le mois de janvier 2014.